L'apport de faibles quantités d'oxygène, dès la fin de la fermentation alcoolique, facilite les réactions de condensation des tanins. Ces derniers s'assemblent en des molécules moins grosses et moins astringentes qu'en l'absence d'oxygène.
L'appareil de micro-oxygénation permet de diffuser en continu des quantités infimes d'oxygène, inférieures à ce que le vin peut consommer. Ainsi, il n'y a jamais d'accumulation d'oxygène dissous. La technique est utilisée pour le traitement des caractères de réduction ou la diminution des goûts herbacés. Son utilisation lors de l'élevage des vins blancs sur lies se développe aussi de plus en plus.
Cependant, le principal intérêt reste d'améliorer la structure et de stabiliser la couleur des vins rouges. Un phénomène qui se produit en deux phases, comme l'explique Michel Moutounet, à l'Inra de Montpellier. Au cours de la première phase (quelques jours à plusieurs mois), on observe une augmentation de la perception tannique ainsi qu'un assombrissement de la couleur et un renforcement de la tendance à la réduction. La deuxième phase se traduit par une sensation de rondeur et d'harmonie, une meilleure expression du fruit et la disparition de la tendance réductrice.
La pratique la plus intéressante consiste à apporter des quantités importantes d'oxygène dans les stades précoces de la vinification et, notamment, entre la fermentation alcoolique et la fermentation malolactique. ' Parce que c'est en fin de fermentation alcoolique que le taux d'anthocyanes libres est à son maximum ', annonce Camille Raymond, oenologue conseil pour OEnodev, à Aydie (Pyrénées-Atlantiques), en Provence et vallée du Rhône. ' On estime que 20 à 30 % des anthocyanes libres, extraites au cours de la macération, sont ensuite perdues, entre la fin de la fermentation alcoolique et le sulfitage après la fermentation malolactique. '
Dès la fermentation et dans les jours qui suivent, des anthocyanes précipitent seules ou en se fixant aux levures (c'est l'explication de la couleur rouge des lies). D'autres se combinent au SO 2. D'autres encore sont dégradées. Les anthocyanes seules sont peu stables. Cette précipitation très rapide se ralentit sans s'arrêter. ' Pour éviter de perdre ce potentiel de couleur et pour le stabiliser, on conseille donc de commencer la micro-oxygénation le plus tôt possible dès la fin de la fermentation alcoolique. Mais on préfère attendre que les sucres soient terminés avant de commencer, pour éviter tout développement de bactéries ou de levures indésirables. '
L'oxygène apporté réagit principalement avec les polyphénols. Toute une chaîne de réactions complexes conduisent à l'oxydation de l'éthanol du vin en éthanal composé, qui va favoriser la condensation des anthocyanes avec les tanins, en jouant le rôle d'intermédiaire. Les complexes obtenus sont plus colorés et plus stables. La couleur, plus intense, prend une teinte plus mauve.
L'apport précoce d'oxygène au vin permet donc d'optimiser le potentiel de couleur. Il a aussi un rôle sur la structure polyphénolique du vin, sur sa charpente.
' Si l'on oxygène le vin juste après la fermentation alcoolique, lorsque le taux en anthocyanes libres est relativement élevé, le degré de polymérisation moyen des polyphénols sera plus bas que si l'on commence à oxygéner plus tard ', explique Thierry Lemaire, d'OEnodev. La polymérisation engendrée par l'oxygénation précoce conduit, en effet, à des chaînes plutôt courtes et moyennes. On oriente, ainsi, l'évolution du vin vers une structure polyphénolique riche en composés de taille moyenne.
Or, de récents travaux de recherche menés par l'Inra de Montpellier et l'université d'Adélaïde en Australie indiquent, contrairement à ce que l'on croyait jusque-là, que plus la polymérisation des polyphénols est importante, plus l'astringence du vin est forte. D'où l'intérêt d'obtenir des composés phénoliques moyennement polymérisés.
' En vallée du Rhône, on est toujours un peu réticent à faire intervenir l'oxygène sur grenache, dont la couleur est plutôt instable ', confie Sébastien Fraychet, oenologue de la cave de Vinsobres (Drôme). ' J'ai commencé la micro-oxygénation en 1998, et je l'emploie maintenant sur 5 000 hl en cuvées haut de gamme de côtes-du-rhône village. L'idéal, c'est d'attaquer le plus tôt possible après la fermentation alcoolique, sous marc si possible. Moi, pour des raisons pratiques, je ne commence qu'à l'écoulage. ' Sur une cuvaison de trois semaines, si la fermentation dure dix jours, il ' perd ' donc dix jours de micro-oxygénation.
' Chaque année, je fais des témoins et je constate que l'intensité colorante des cuvées micro-oxygénées est supérieure, mais cet écart se gomme au fil du temps. En revanche, en bouche, la différence est maintenue. Les vins micro-oxygénés sont plus gras et plus puissants. C'est la cinquième saison que je pratique cette technique. Je pilote les doses et le rythme à la dégustation. Durant la première phase, entre écoulage et malo, on flirte avec l'éthanal. Les arômes de syrah, très cassis, évoluent vers des notes de fruits mûrs confiturés, puis de cacao. Et lorsqu'on arrive aux arômes d'éthanal (pomme, miel), on peut avoir la désagréable impression d'avoir oxydé le vin. En fait, il ne faut pas s'inquiéter, car tout l'éthanal sera utilisé et le vin aura, au contraire, une meilleure capacité à vieillir. Dès qu'on le sent, on diminue la dose. Lorsque la fermentation malolactique démarre, on arrête. Puis après soutirage et sulfitage, on reprend la micro-oxygénation à des doses dix fois moins importantes, en pilotant toujours à la dégustation. '
La technique est intéressante en coopérative où l'on dispose de volumes importants (à raison d'une céramique de diffusion par cuve, on réalise une économie d'échelle) et où l'on fait moins de travail d'élevage (soutirages, etc.). A condition de pouvoir compter chaque année sur une belle matière première. Cette année, étant donné les intempéries de début septembre et le risque de pourriture grise, le raisin sera plus fragile vis-à-vis des oxydations. Aussi, le volume micro-oxygéné et les doses d'oxygène seront-ils sans doute revus à la baisse.