Première femme à être courtière en vin dans la vallée du Rhône en 1990, Bernadette Vernhet déguste soixante échantillons par jour pendant six mois, pour répondre à la demande des négociants et à l'offre des vignerons. Son métier exige une connaissance large du marché et une dose de psychologie.
'Je suis issue d'une famil- le viticole, précise Bernadette Vernhet, courtière en vin à Pont-Saint-Esprit (Gard). Dans ce métier de contact, c'est un atout pour nouer des relations de confiance. ' La confiance, maître mot de cette profession... ' Quand un vigneron vient ici, nous parlons de tout dans une grande transparence, de sa famille, de sa situation financière, de ses projets. Ma carte professionnelle précise d'ailleurs que je suis 'courtier de campagne'. La dimension rurale de cet intitulé correspond bien à mon métier. '
Quand elle entre dans le cabinet de Max Rouvier en 1990, Bernadette Vernhet est la première femme courtière dans la vallée du Rhône. Elle est également la première femme courtière assermentée en vin en 1993. Un cursus qui lui permet de relier le droit - objet de ses études - à sa passion du vin. Comme dans de nombreux métiers, le fait d'être une femme lui a valu une période d'observation et de tests plus appuyés que pour un homme, ' mais au bout d'une année, j'étais adoptée et les vignerons étaient contents d'avoir une femme courtière dans leur région. Les rapports sont peut-être même plus conviviaux, plus sécurisants '.
Sa journée type commence à 8 h, par du travail au bureau et de nombreuses conversations téléphoniques. A l'automne, à partir de 11 h, elle déguste les échantillons prélevés la veille. ' 11 h, c'est le meilleur moment. On a faim et les papilles sont excitées. Je déguste environ soixante vins chaque jour, d'octobre à mai. L'après-midi, je reste au bureau ou je pars visiter les propriétés. C'est important de se rendre dans les caves pendant les vinifications pour apprécier le millésime, estime-t-elle. Je fais le point toutes les semaines avec les négociants sur leurs besoins, auxquels je réponds en leur proposant des échantillons. Ensuite, le négociant me fait une offre de prix que je transmets au viticulteur. Après des échanges téléphoniques, nous parvenons à un accord sur un prix et sur les modalités de paiement, sous réserve que le vin soit agréé et que les analyses (SO 2, etc.) soient correctes . '
En avril-mai, débute le marché des vins sur souche. ' C'est un marché un peu spéculatif, où le négoce et la propriété s'accordent sur un vin avant que les raisins ne soient récoltés. Il ne représente que 4 à 5 % des volumes dans la région, mais il a sa raison d'être. Le prix du vin est établi selon une qualité à définir, avec des modalités de paiement fixées. '
En cette année 2002, au climat capricieux et donc au millésime incertain, les courtiers sont-ils réceptifs à tous les appels des vignerons ? ' Par principe, je réponds toujours oui à un vigneron qui me demande de le recevoir ou d'aller le voir, même pour 50 hl, même si c'est loin. Dans mon métier, on doit savoir tout vendre, du vin destiné à la vinaigrerie aux grands crus. On trouve toujours une solution pour tous les vins, car on a toujours en face de nous quelqu'un qui peut être intéressé par un produit donné . '
L'évolution des moyens de communication, tel internet, qui pourraient menacer son métier ne l'inquiète pas. ' Si un vigneron appelle directement un négociant, ils n'auront, l'un et l'autre, qu'une vision très partielle du marché, alors que le courtier a une vue très large des cours et des intervenants, presque exhaustive. Cela suppose d'être toujours en alerte, car le courtier ne peut pas se permettre de ne pas connaître un prix. ' La rémunération, toujours payée par le négociant, s'établit entre 1 et 2 % du montant de la transaction, selon les régions et selon les appellations.
A mi-chemin entre le négoce et la viticulture, le courtier pourrait parfois être la cible de critiques de part et d'autre, suspectée de jouer le jeu de la partie adverse. ' Quand on est reconnu dans ce milieu, il n'y a pas de problème. Bien sûr, le vigneron voudrait toujours que son vin soit acheté un peu plus cher et le négociant préférerait limiter le coût de ses achats. ' L'existence de cours officiels limite le champ des contestations, en donnant une base de négociation à tous les intervenants. ' Nous avons de bonnes relations avec les deux familles, même si elles sont différentes. En forçant un peu le trait, on pourrait dire que chez les vignerons, nous sommes reçus dans la cuisine de façon conviviale. Un peu comme si l'on faisait partie de la famille. Avec les négociants, nous nous rencontrons plutôt au restaurant ou dans des soirées très festives. Le point commun entre tous ces contacts, c'est la confiance. ' Voire la confidence...