Alors que l'économie de l'Arménie est au plus bas, le koniak fait l'objet d'un commerce rentable avec la Russie. L'ancienne République soviétique devra, tôt ou tard, cesser d'usurper ce terme et en trouver un autre pour dénommer son eau- de-vie de vin.
Depuis quatre ans, les usines de koniak de la vallée d'Ararat et de Erevan, la capitale de l'Arménie, reprennent du service. Attirés par l'un des rares secteurs lucratifs du pays, des industriels ambitieux et des opportunistes les rachètent par morceau. Ils sont alléchés par le succès de ce brandy arménien dont les ventes s'envolent : + 40 % en 2000 et 2001, environ + 19 % en 2002. Une aubaine dans un pays à l'économie dévastée depuis son indépendance, en 1991. Cette année, près de 12 millions de bouteilles de 0,5 l seront vendues par la dizaine de sociétés existantes. Les 5 000 ha destinés au brandy, sur les 10 000 ha du pays, ne satisfont plus la demande. Cette réussite tient à la réputation dont jouit l'armianskii koniak , le cognac arménien, dans une Russie en pleine croissance économique, où 90 % des ventes sont réalisées.
L'histoire commence en 1877 : M. Taïrov fait venir de France un alambic et construit la première usine à Erevan. Il applique la méthode charentaise et fera bientôt des émules qui vont faire oublier, à tout l'empire du tsar de Russie, que le cognac tient son nom d'une petite ville de l'ouest de la France.
En 1920, le pouvoir soviétique nationalise la quarantaine d'usines alors en fonctionnement. Il les réunit dans le trust Ararat et en construit d'autres. Dans les années quatre-vingt, 22 millions de cols sont produits chaque année. A partir de 1993, le trust est dissous et privatisé. Cependant, le pays est en panne et seule l'usine de koniak de Erevan fonctionne, mais à bas régime. Le groupe Pernod-Ricard la rachète pour 30 M$ en 1998. Ses débuts ont lieu l'année de la crise russe. ' Finalement, raconte Pierre Larretche, PDG de l'Erevan Brandy Company Pernod-Ricard, la puissance de la marque Ararat, sous laquelle nous vendons nos koniaks, nous est apparue telle que nous avons choisi de conserver cette affaire. ' Un choix judicieux. La société réalise un chiffre d'affaires de 25 Meuros. Elle est bénéficiaire depuis un an. Avec 6 millions de cols vendus en 2001, elle assure près des deux tiers des ventes de brandies arméniens. De l'aveu d'un concurrent comme Robert Azarian, directeur technique de Great Valley, le deuxième producteur du pays, la présence de Pernod-Ricard est ' bénéfique. Elle nous oblige à améliorer notre qualité et notre travail '.
Aujourd'hui, le consommateur russe demande des produits plus raffinés. A l'époque de l'URSS, des usines avaient été équipées de l'alambic Zohrabian qui produit une eau-de-vie en une seule distillation de 13 h. Des sociétés, comme Ararat Ltd, font marche arrière. Elles s'équipent de matériel charentais, se convertissant à la double distillation, afin de dégager la douceur et la puissance des eaux-de-vie arméniennes, où chocolat et vanille dominent, après quelques années de vieillissement.
Aucune société ne possède de vignes, mais plusieurs songent à planter. Pour l'instant, elles achètent le raisin à des producteurs, à 15 ceuros/kg. Ces derniers sont devenus propriétaires lors de la privatisation des terres en 1993. Ils possèdent 0,5 ha en moyenne et n'ont guère la possibilité d'assurer une bonne récolte. ' On ne parvient toujours pas à traiter à temps. C'est notre problème ', déplore Rafik Stépanian, l'un de ces viticulteurs. Comme d'autres, il dépend de la disponibilité des rares propriétaires de tracteur. Cette année, du fait de l'été pluvieux, Rafik Stépanian a perdu 20 % de sa récolte, soit environ 4 t sur les 20 t que son hectare de vigne lui a donné.
Pour résoudre ce problème, Pernod-Ricard a décidé de fournir, à prix coûtant, des produits de traitement français à ses fournisseurs de vendange. Une équipe de cinq agronomes dispense des conseils techniques pour assurer la qualité des raisins et des blancs de divers cépages locaux. Une question qui devient cruciale. En phase d'accession à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Arménie pourrait être obligée d'abandonner le nom de koniak. Selon Ambroise Augé, du service juridique du Bureau national interprofessionnel du cognac : ' Comme l'Arménie et la Russie, son principal débouché, tiennent à faire partie de l'OMC, elles se plieront aux règles internationales de la propriété intellectuelle. '
Les accords franco-russes de novembre 2001 et 2002 prévoient qu'au terme d'une période transitoire, la Russie abandonne l'usage des termes ' cognac ' et ' champagne ' et qu'elle assure leur protection sur son territoire d'où que proviennent les produits. Ces dispositions vont faire grincer des dents. ' Cela fait plus de cent ans qu'on parle de koniak arménien, rappelle Avag Harutyunyan, président de l'Association arménienne des producteurs de vin. Nous risquons de perdre notre clientèle russe. ' La bataille pourrait se reporter sur le nom Ararat. Lorsque Pernod-Ricard a acheté son usine, il en est devenu propriétaire. Or, ses concurrents se sentent co-dépositaires du nom de leur vallée. Fin octobre, Multi Group, le dernier venu, a apposé sur le toit de son usine de gigantesques enseignes où le nom Ararat, qui fait partie de sa raison sociale, se détache nettement. Il laisse ainsi entendre que la marque lui appartient aussi. Le marché de ce qui s'appelle encore armianskii koniak est trop fructueux pour en laisser une part aux anges.