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Les levures du commerce ne se dispersent pas

La vigne - n°138 - décembre 2002 - page 0

Les souches utilisées dans les chais pour ensemencer les moûts ne se retrouvent pas dans le vignoble alentour. Elles ne risquent donc pas d'amoindrir la diversité de la flore levurienne naturelle.

Plus de la moitié des vinifications en Europe sont réalisées par ensemencement de levures sèches actives (LSA). Ces souches ont initialement été isolées dans le vignoble, et sélectionnées sur la base de leurs performances fermentaires et de leurs caractéristiques organoleptiques. Comme les caves sont un milieu ouvert, elles peuvent être disséminées dans l'environnement, en même temps que différents effluents et sous-produits. Elles pourraient être réintroduites dans l'écosystème lors de chaque vinification. Leur devenir dans l'environnement naturel est totalement inconnu. Sont-elles capables de survivre dans le vignoble ? Peuvent-elles participer à la microflore naturelle des raisins et des moûts ?
Un faible nombre de données sont disponibles pour évaluer l'importance de la dissémination des levures dans le vignoble, ainsi que leur rémanence, d'une année sur l'autre. Récemment, une étude visant à évaluer la diversité des levures dans le vignoble sud-africain a été conduite pendant quatre ans. Sur treize lieux de prélèvement correspondant à différentes régions, des levures identiques à des souches commerciales n'ont pu être retrouvées que dans un faible nombre d'échantillons de baies, variant selon les années de 0 à 3.

Ces travaux ont fait apparaître la nécessité de réaliser ce type d'étude à plus grande échelle, de manière à augmenter la signification des données obtenues. Un large plan d'échantillonnage a été défini. Il inclut trente-six lieux de prélèvements, répartis sur six vignobles : trois en France et trois au Portugal, sur une durée de trois années (de 2001 à 2003). Les résultats présentés ici portent sur la campagne menée en France, en 2001, par l'UMR (unité mixte de recherches) sciences pour l'oenologie, à l'Inra de Montpellier (Hérault), en collaboration avec Dominique Delteil, de l'ICV de Montpellier.
Trois sites du Languedoc utilisant chaque année plusieurs LSA - majoritairement la ICV K1 marquée - depuis plus de cinq années, ont été choisis. Les baies de raisin ont été collectées en six endroits, correspondant à trois distances différentes de la cave (dans une fourchette de 100 à 1 000 m) et à deux orientations opposées en fonction du vent dominant. Ces prélèvements ont été effectués avant et après les vendanges afin d'évaluer, d'une part, la rémanence des souches et, d'autre part, la dissémination immédiate dans l'environnement. Trente-six échantillons ont donc été prélevés.
Des fermentations à l'échelle de laboratoire ont été réalisées à partir du jus extrait des baies récoltées. Les levures ont été isolées des moûts, dont les deux tiers des sucres avaient été dégradés. Pour chacune des fermentations, trente colonies ont été choisies au hasard et identifiées. Un premier crible a permis d'éliminer les non- Saccharomyces. Des profils chromosomiques ont ensuite été réalisés afin de comparer les souches indigènes restantes aux différentes LSA utilisées dans la cave.
Plus de 70 % des moûts ont donné lieu à une fermentation spontanée. A partir de ces moûts, 720 souches, isolées de vingt-quatre fermentations, ont été analysées. Seules trois fermentations contiennent exclusivement des S. cerevisiae. Les autres contiennent des mélanges de S. cerevisiae et non-S. cerevisiae, ou encore uniquement des levures non- S. cerevisiae. Ces données recouvrent des situations variables, puisque le pourcentage d'échantillons contenant des S. cerevisiae est très différent d'un vignoble à l'autre. Sur l'ensemble des observations, un échantillon sur deux contient des S. cerevisiae.
La moitié des 720 souches analysées appartiennent à l'espèce S. cerevisiae. L'analyse de ces 360 S. cerevisiae a mis en évidence l'existence de plus de quatre-vingts caryotypes différents. Cependant, dans dix fermentations sur dix-neuf contenant des S. cerevisiae, un seul type de souche est retrouvé.

Dans trois fermentations, deux à quatre caryotypes différents sont retrouvés, et de cinq à vingt souches différentes sont présentes simultanément dans six fermentations. Là encore, une diversité importante est retrouvée selon le vignoble étudié. Sur les trente-six échantillons collectés, deux contiennent des levures S. cerevisiae ayant un profil identique à celui de la souche commerciale utilisée dans la cave. Dans ces deux échantillons, ces souches ne sont pas dominantes, représentant respectivement 17 et 33 % de la flore, constituée par ailleurs de non- S. cerevisiae. Ces deux échantillons ont été prélevés dans le même vignoble, dans deux orientations opposées par rapport au vent dominant, à mi-distance de la cave pour un cas, et à la distance la plus éloignée dans l'autre cas. Il s'agit, dans les deux échantillons, de prélèvements effectués avant l'utilisation de cette levure dans la cave pour le millésime, ce qui exclut la possibilité d'une dissémination immédiate.
Cette première étude n'a donc pas permis de mettre en évidence de dissémination immédiate dans l'environnement des levures commerciales. La présence dans deux échantillons de S. cerevisiae, ayant un profil chromosomique identique à celui d'une levure commerciale, pourrait refléter une dissémination antérieure. Cependant, il n'est pas possible de l'affirmer, car la souche commercialisée avait initialement été isolée dans la région Languedoc. Les levures retrouvées pourraient donc faire partie de la microflore indigène, au même titre que les autres S. cerevisiae identifiées. Notons que la levure ICV K1 marquée, majoritairement utilisée dans les trois caves depuis plus de cinq ans, n'a été retrouvée dans aucun échantillon.
Dans l'hypothèse d'une dissémination antérieure de la souche commerciale rencontrée, ces souches représenteraient 4 % des S. cerevisiae de la flore indigène, 2 % de la microflore retrouvée après fermentation, et un pourcentage largement inférieur de la microflore initialement présente sur les baies de raisin.
En tout état de cause, la fréquence de dissémination des levures commerciales dans le vignoble apparaît donc très faible, tout comme l'impact sur l'écosystème. Le risque de contamination des moûts par des souches commerciales disséminées est donc globalement très faible. Les premiers résultats obtenus par l'équipe portugaise vont dans le même sens.
La poursuite de ces études sur deux années supplémentaires permettra de confirmer ces premiers résultats.

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