L'esca pourrait faire disparaître un tiers du patrimoine viticole français à la suite de l'interdiction de l'arsénite de soude, seule arme efficace contre cette maladie.
'Il nous faut encore acquérir des connaissances de base, pour connaître les cibles à protéger et savoir quand la plante est réceptive, c'est-à-dire à quels moments elle est capable de recevoir les champignons et de les faire se développer ', regrette Bernadette Dubos, à l'Inra d'Aquitaine. L'esca est pourtant la plus ancienne des maladies décrites de la vigne. Elle touche tous les vignobles. Ses conséquences sont très graves. Elle entraîne la mort des souches à plus ou moins long terme.
Elle a été peu étudiée parce que l'on disposait, depuis un siècle et jusqu'à l'année dernière, d'une arme très efficace, l'arsénite de soude. On n'en connaît pas le mode d'action. Il limite les symptômes foliaires, mais ne semble pas très actif sur la colonisation du bois par les champignons. Les Français étaient les derniers Européens, avec les Portugais, à ne pas avoir encore interdit ce puissant toxique pour l'homme et pour les animaux. Or, ' l'esca est en passe de devenir le problème phytosanitaire le plus important des vignobles de toute l'Europe ', prévient Bernadette Dubos.
On observe une généralisation de l'esca sur l'ensemble des vignobles, même si c'est plutôt une maladie des régions méditerranéennes. Et le taux de mortalité dû à l'esca s'accroît vite en l'absence de traitement.
Par ailleurs, le black dead arm, identifié en juillet 1999 en France, est encore confondu avec l'esca. On l'observe dans le Bordelais, l'Armagnac, la Champagne et la Provence. Il se développerait probablement plus vite que l'esca. En fait, cette maladie est sans doute présente un peu partout sous le nom d'esca... ' Mais il est important de les différencier, car si l'on trouve un moyen de lutte contre l'esca, il faudra tester son efficacité contre le black dead arm ', estime Philippe Larignon, à l'Inra de Bordeaux. D'autres pensent qu'il s'agirait simplement de symptômes particuliers de début de saison sur des plants stressés et infectés par l'esca.
Bien connaître les symptômes est nécessaire. En effet, ils peuvent ressembler à ceux d'une virose, à des problèmes de nutrition ou à des désordres physiologiques ponctuels (asphyxie, phytos de désherbants). Sur les parties herbacées, les symptômes se manifestent sous deux formes. La forme lente se caractérise par une coloration des feuilles entre les nervures, jaune pour les cépages blancs, rouge pour les cépages noirs. Cette coloration est suivie d'un dessèchement. Les premiers symptômes apparaissent à la base des rameaux, puis se généralisent. La présence systématique d'un liseré jaune entre les tissus malades et les tissus sains permet de distinguer l'esca du black dead arm.
L'expression de la maladie varie beaucoup d'une année à l'autre. Un cep malade une année peut très bien paraître sain l'année d'après.
La forme apoplectique voit le cep, en partie ou en totalité, se dessécher en quelques heures ou quelques jours. Elle apparaît en été, souvent lorsqu'un temps chaud suit une pluie. Dans le bois, on distingue deux nécroses dans la partie supérieure du tronc, l'une centrale, l'autre sectorielle. La première est formée d'une zone claire à consistance tendre, séparée d'une partie brun rose et dure, par un liseré noir. La seconde partie est constituée d'une zone brune et dure, délimitant une seconde zone claire et tendre. En résumé, le bois clair et friable, ou faciès amadou, est typique de l'esca, tandis que le black dead arm se reconnaît par la présence d'une large bande brune verticale, située sous l'écorce.
L'esca est une maladie complexe, faisant intervenir au moins cinq champignons. Certains, en pionniers, digèrent le bois avant que d'autres, simples saprophytes ou parasites secondaires, se développent.
Philippe Larignon et Bernadette Dubos décrivent deux processus de dégradation du bois. Phaemoniella chlamydospora et P. aleophilum se retrouvent dans la zone brune et préparent le terrain avant l'installation de Fomitiporia punctata (ou Phellinus punctatus), qui provoque la nécrose claire et tendre caractéristique de l'esca. Enfin, Stereum hirsutum, rarement isolé, aurait un rôle très secondaire. Le second processus aboutit à la formation de la nécrose sectorielle. Eutypa lata (agent de l'eutypiose) est responsable de la nécrose brune en position inférieure. Fomitiporia punctata , là aussi, dégrade le bois en amadou.
La biologie des champignons autres qu' Eutypa lata est encore inconnue. Ils proviendraient en partie des ceps morts, mais surtout des arbres morts où P. punctatus et S. hirsutum sont conservés. Pour l'un des champignons au moins, il semble qu'une période pluvieuse, suivie d'un temps sec et chaud, favorise la dissémination. On sait que certains champignons pénètrent par les plaies de taille et, peut-être, par les bois, en pépinière. ' On manque toutefois de données fiables pour affirmer l'importance de cette voie de transmission ', estime Jean-Pierre Péros, à l'Inra de Montpellier. Tous les cépages sont sensibles à l'esca. Certains, comme le cabernet franc, le cabernet sauvignon et le sauvignon, le sont plus que d'autres.
La lutte consiste à limiter les portes d'entrée du champignon (grosses plaies de taille et blessures) et à diminuer les sources d'inoculum, en enlevant tout bras malade et tout cep mort, et en les brûlant. On conseille de tailler le plus tard possible pour limiter la contamination des plaies. En effet, on a montré qu'en taillant tôt, la blessure était davantage réceptive et sensible plus longtemps. Entre la mi-décembre et la mi-janvier, le taux d'infection des plaies de taille diminue de moitié. Mais cela dépend également des conditions climatiques, dont on connaît encore très mal l'influence.
On peut restaurer les souches par recépage ou regreffage. On recèpe en hiver en coupant le tronc assez bas, de façon à ce que les nécroses ne soient plus visibles. Puis on protège immédiatement la plaie de taille pour éviter de nouvelles contaminations. L'Escudo est actuellement le seul produit homologué. Le regreffage est fait dans le cas où la nécrose ne descend pas dans le porte-greffe. Ces méthodes permettent de reconstituer un cep en deux à trois ans.