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Marges arrière : l'abus

La vigne - n°140 - février 2003 - page 0

En plus des remises, les distributeurs demandent à leurs fournisseurs de payer les animations commerciales dans les magasins. Ce sont les marges arrière. Elles peuvent représenter jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires dans le secteur du vin. Un abus qu'il sera difficile d'éradiquer.

Au mois de novembre dernier, les manifestations des agriculteurs devant les centrales d'achat des distributeurs ont relancé les débats sur les relations conflictuelles entre les fournisseurs et les grandes enseignes nationales. Les industriels reprochent aux distributeurs d'exiger des efforts commerciaux toujours plus importants, sans que ces gestes ne soient répercutés auprès des consommateurs, par une baisse des prix. La marge des distributeurs irait donc en grandissant.
' Le constat est simple, explique un habitué des grandes surfaces. Depuis une dizaine d'années, les plus grandes fortunes se situent dans la distribution. D'un point de vue idéologique, cela ne me dérange pas. Le problème avec les distributeurs, c'est qu'ils le font sur le dos des fournisseurs, plutôt qu'en améliorant leur organisation. La valeur ajoutée pourrait être mieux partagée. C'est un enjeu politique important dans le maintien de la population en milieu rural et sur le terrain de l'emploi dans l'Hexagone. '

En 1996, la loi Galland avait essayé d'apporter de la transparence et d'équilibrer les relations commerciales entre les distributeurs et les fournisseurs. Le but était louable, mais sans grands résultats concrets. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat au commerce, a repris le flambeau. Première étape, en juillet dernier : l'Ania (Association nationale des industries agroalimentaires) et la FCD (Fédération des distributeurs) ont signé un accord visant à stabiliser les marges arrière pour 2003, en contrepartie d'une modération des tarifs de la part des industriels.
Les marges arrière, qui sont au coeur de la discorde, sont des remises accordées aux distributeurs au titre de la ' coopération commerciale '. Sur le papier, elles servent à financer les opérations d'anniversaire, les prospectus, les animations, les têtes de gondole, les cartes de fidélité, les rénovations de magasins, voire tout simplement la mise en rayon, ce qui est pourtant un minimum de la part d'un distributeur.
Or, les marges arrière ne sont pas répercutées aux consommateurs (voir infographie). Elles vont directement dans la poche du distributeur, sans que leurs clients puissent en bénéficier puisqu'il est interdit de vendre un produit à perte. Elles sont donc dans le collimateur du gouvernement, qui souhaiterait que les ristournes consenties pour les animations passent en marge avant, ce qui permettrait d'en faire bénéficier les consommateurs.

Reste à trouver un moyen efficace de cadrer les relations. Le pouvoir étant dans les mains des distributeurs - il n'existe plus que six grandes centrales d'achat - le rééquilibrage sera difficile à mettre en place. Pour preuve, alors que les accords de juillet 2002 stipulaient la stabilisation des marges arrière, déjà à un niveau élevé, de nombreux industriels se sont vu demander une augmentation de 2 % de leurs marges arrière lors des négociations de l'année 2003.
Les distributeurs rétorquent que les industriels ont trop augmenté leurs prix (5,2 % en 2002, selon Panel International). ' C'est une chaîne sans fin , précise le directeur commercial d'une grande entreprise. Nous nous sommes vite aperçus que les distributeurs ne tenaient pas leurs promesses de geler les taux de marges arrière. Pour conserver la même marge, nous avons augmenté certains produits de 4 %, en prévoyant 2 % pour les prélèvements supplémentaires des distributeurs et 2 % pour l'inflation ', déclare ce directeur commercial.
Selon les produits et les marchés, les marges arrière oscillent entre 3-4 % et 30-40 %. Sur certains produits, le taux dépasse même les 50 % ! Dans le milieu du vin, elles franchissent rarement le cap des 30 %, les grandes marques étant les plus touchées. Les petits vignerons livrant quelques magasins sont rarement concernés par ces mesures, les distributeurs ayant besoin d'eux pour apporter une touche régionale à leurs rayons. En revanche, les unions de coopératives et les négociants sont très sollicités. ' Il faudrait se regrouper pour devenir incontournable, avance un président de cave coopérative . Mais qui, à part Coca-Cola, est vraiment indispensable ? '

Un négociant pense que ' certains distributeurs ont des méthodes de cow-boys. Ils assument rarement leurs erreurs et deviennent fébriles au moindre fléchissement de leurs marges. Il suffit de voir leur tension quand une foire aux vins fonctionne moins bien que prévu. Sur les marges arrière, la dérive est vite apparue. Au début, l'acheteur nous disait : 'Vous figurez sur cette page du prospectus que j'envoie à 100 000 clients, je vous facture cette publicité à tel prix.' C'était honnête. Maintenant, le prix s'effectue en pourcentage du chiffre d'affaires, ce qui est plus diffus et surtout plus coûteux. La disproportion est énorme entre les budgets de marges arrière et le niveau des prestations des distributeurs . '

' Lors des négociations annuelles, si nos produits ont réalisé quelques points de croissance, l'acheteur nous demande une rémunération, car il a participé à ces bons chiffres. A l'inverse, si nos ventes ont baissé, il exige également un effort en nous incitant fermement à investir pour développer nos produits. Donc, quel que soit notre bilan annuel avec cette enseigne, nous devons payer, s'insurge le négociant. En fait, la France est la vache à lait des distributeurs qui investissent en Asie, au Brésil ou dans les pays de l'Est. On leur sert de banquier . '
La recommandation Ania-FCD, signée en juillet 2002, ne constituait que le premier pas de la remise à plat des pratiques commerciales. Le 14 février 2003, l'Ania et la FCD ont publié leur bilan de la recommandation. Renaud Dutreil s'appuiera sur ce bilan pour réviser la loi Galland. La FNSEA, de son côté, regrette de ne pas être davantage sollicitée. ' L'Ania et la FCD n'ont pas envie de nous intégrer au dossier car, dans beaucoup de secteurs, les industriels répercutent la baisse de leurs tarifs sur les agriculteurs ', constate Pascal Coste, secrétaire général adjoint de la FNSEA et membre de la commission d'examen des pratiques commerciales. La FNSEA reste vigilante, mais un vent de fatalisme plane chez les fournisseurs...

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