Des oeufs d'hiver sont projetés sur la vigne et l'infectent lors de chaque averse, et non pas seulement au printemps. Leurs fructifications migrent peu. Elles restent regroupées autour du cep qui les a vues naître. C'est la théorie révolutionnaire de chercheurs suisses.
Rien n'est jamais acquis. C'est vrai en sciences où, grâce aux nouvelles technologies, les chercheurs vont de découvertes en découvertes. Les connaissances sur le mildiou ne dérogent pas à la règle. Son épidémiologie est censée être l'une des plus connues. Dans la littérature, on apprend que le responsable de la maladie, Plasmopara viticola, se conserve l'hiver sous forme d'oospores (oeufs d'hiver) dans les feuilles tombées au sol. Au printemps, lorsqu'elles sont matures, elles germent dès qu'il pleut par une température qui dépasse 11°C. Si le stade éclatement du bourgeon est atteint, il y aura une contamination primaire.
Après un temps d'incubation, qui est variable suivant les conditions météorologiques, les premiers foyers apparaissent, puis ils engendrent des contaminations secondaires à la faveur des pluies. Plusieurs cycles, dont le nombre et la durée dépendent du climat, vont alors se succéder et piloter la gravité des attaques.
Aujourd'hui, des chercheurs suisses, de l'Institut fédéral de technologie et des sciences de la plante de Zurich, remettent ce schéma en cause. Selon eux, les oeufs d'hiver ne se contentent pas d'initier l'épidémie au printemps. Ils peuvent germer et engendrer de nouvelles contaminations jusqu'à la mi-juillet, voire après. Celles-ci se disséminent sur toute la parcelle.
L'extension de l'épidémie n'est pas due à la multiplication asexuée du mildiou à partir de foyers primaires. Elle s'explique par la germination d'oeufs d'hiver en de nombreux endroits différents et après chaque averse.
Par ailleurs, il semblerait qu'une tache issue d'un oeuf d'hiver ne se repique pas plus de quatre fois : soit elle meurt, soit elle n'effectue que deux à quatre cycles secondaires. De plus, chacune des taches primaires ne se repique que de proche en proche, sur deux à trois ceps voisins, car les spores migrent peu. Ainsi, la contribution quantitative des contaminations primaires seraient très forte à l'échelle de la parcelle et du vignoble. Les contaminations secondaires, quant à elles, permettraient à la maladie de se propager uniquement à l'échelle de la feuille et du cep. Les fructifications n'auraient pas le pouvoir de la disséminer sur de vastes étendues !
' C'est un peu comme si je vous annonçais que la terre est carrée ', a admis Davide Gobbin, un membre de l'équipe suisse, lorsqu'il a présenté, pour la première fois, ses travaux au colloque Euroviti, le 16 janvier dernier, à Angers (Maine-et-Loire). Comment est-il arrivé à ces conclusions ? Grâce à l'analyse génétique. Elle permet d'établir les profils génétiques des souches de Plasmopara viticola . Chaque profil différent constitue un génotype. Nos chercheurs partent du principe que les contaminations secondaires présentent le même génotype que la contamination primaire dont elles sont issues. A l'inverse, deux génotypes différents dérivent de deux contaminations primaires différentes.
Ils ont donc prélevé du mildiou tout au long de la saison en Suisse, en Allemagne, en Italie et en France en 2000 et 2001. Dans notre pays, les Suisses ont travaillé avec Marc Raynal, de l'ITV de Bordeaux. Au total, ils ont récolté 10 000 taches et en ont analysé 7 000. Ils ont suivi deux parcelles non traitées en Gironde, à Blanquefort et à Bommes.
A Blanquefort, 60 % des taches collectées tout au long de la saison présentent des génotypes n'apparaissant qu'une seule fois. ' Nous observons une entrée continuelle de nouveaux génotypes, analyse Davide Gobbin . Ils proviennent soit de nouvelles contaminations primaires, soit de contaminations secondaires originaires de lésions primaires, non détectées au cours des précédents prélèvements. Nous constatons également une élimination continuelle de génotypes. '
A Bommes, l'épidémie a été moins sévère et a démarré plus tard. Les symptômes étaient moins nombreux et regroupés sur une aire restreinte. Le constat est donc différent. Les populations analysées présentent une forte homogénéité génétique, avec une distribution spatiale des clones très localisée. 13 % des symptômes sont situés sur le cep où la contamination primaire est supposée avoir eu lieu. 60 % des taches sont localisées sur le cep le plus proche. On en déduit que les contaminations secondaires revêtent une grande importance à l'échelle du cep et de la feuille, mais pas de la parcelle. Les spores migrent peu.
Pourquoi alors le mildiou s'est-il répandu aussi rapidement en Europe ? Nos scientifiques n'ont pas encore toutes les réponses. Ils supposent que la maladie se propage par ses oeufs d'hiver. Ces derniers peuvent survivre au moins quatre ans, mais les chercheurs ne connaissent pas leur pouvoir de dissémination.
Fort de ces constats, Davide Gobbin soutient que c'est ' l'accumulation de contaminations primaires qui constitue la stratégie d'attaque du mildiou pour coloniser le vignoble '. Quelles incidences sur les stratégies de traitement ? Les Suisses supposent qu'un contrôle tardif de la maladie, assorti de l'élimination des débris végétaux, pourrait améliorer le contrôle de la maladie. Les traitements de fin de saison auraient donc une importance bien supérieure à celle qu'on leur accorde aujourd'hui. Des essais devraient être mis en place à l'ITV de Bordeaux pour le vérifier.