L'arôme fruité des vins rouges vient à la fois du cépage et de la levure. Il est souvent fragile, étant sensible à l'oxydation ou naturellement instable. Sa préservation exige bien des précautions.
Le raisin contient lui-même des molécules odorantes ou leurs précurseurs : c'est l'arôme variétal. On trouve là certains thiols typant le cabernet-sauvignon et le merlot. La participation de ces molécules soufrées au fruité des rouges a été récemment mise en évidence par la faculté d'oenologie de Bordeaux. Le 3-mercaptohexa- nol (3MH) se retrouve dans ces vins à des concentrations largement supérieures au seuil de détection olfactif (60 ng/l en solution modèle).
De façon surprenante, alors que le 3MH évoque le pamplemousse dans le sauvignon blanc, il renforce le caractère cassis et fruit cuit dans les rouges. ' Un composant chimique ne crée pas, à lui seul, une image olfactive ', précise Philippe Darriet, à la faculté d'oenologie de Bordeaux. La chimie analytique ne permet pas d'associer une molécule précise à chaque arôme perçu à la dégustation. ' Il n'existe pas, à proprement parler, de molécules responsables des notes de fruits rouges , insiste Jean-Luc Le Quéré, directeur adjoint de l'unité de recherche sur les arômes à l'Inra de Dijon. Le fruité vient d'un ensemble de molécules que l'on retrouve dans tous les vins. '
Les recherches s'attachent à préciser la signature aromatique de chaque cépage. Les vins de la vallée du Rhône à base de grenache sont caractérisés, entre autres, par des notes de pruneau, de cerise, de confiture, de figue sèche et de noix. Pourtant, ce cépage est souvent qualifié de ' neutre '. L'analyse chimique montre qu'il ne compte pas moins d'une centaine de composés aromatiques. Près des trois quarts sont sous forme de précurseurs. Ils sont révélés soit par l'action d'enzymes de la levure, soit plus lentement, par hydrolyse acide due au pH du vin. Dans ce dernier cas, la révélation se produit au cours de sa conservation.
Outre les composés soufrés, certains dérivés de caroténoïdes, les C13 norisoprénoïdes, peuvent participer à la complexité aromatique des rouges. La ß-damascénone, par exemple, à l'odeur complexe de prune, pruneau, tabac blond et compote de pommes, se trouve sous forme de différents précurseurs (inodores et qui seront révélés lors de la fermentation alcoolique) dans de nombreux cépages rouges. On la cite surtout dans les vins issus de syrah ou de cépages bordelais.
Le fruité est également dû à des substances produites par les levures : c'est l'arôme fermentaire, marquant les vins jeunes, surtout primeurs. Les composés odorants sont des esters éthyliques et des acétates d'alcools supérieurs. Tous les vins en contiennent quel que soit le cépage. En effet, la levure produit ces arômes vineux à partir de précurseurs dont elle se nourrit. Mais le mode de vinification est déterminant.
La macération carbonique en grains entiers privilégie la formation d'esters qualifiés d'arômes amyliques. L'acétate d'isoamyle, en synergie avec ses analogues (acétates d'isobutyle et de 2-méthyl- butyle) confère l'odeur de banane aux beaujolais primeurs. Ce caractère est amplifié par des souches de levures, comme la 71B.
Selon l'ITV de Villefranche-sur-Saône, cette typicité est obtenue à la seule condition que le raisin se trouve émergé et en métabolisme anaérobie, c'est-à-dire sous atmosphère de CO 2 : ' L'arôme se trouve alors amélioré et intensifié. Pour cela, on conseille de respecter l'intégrité du raisin et d'éviter de triturer la vendange pour limiter le volume de jus dans la cuve ', ajoute Valérie Lempereur, à l'ITV.
' La fraction fruitée de l'arôme du vin décroît au cours de l'élevage , annonce Philippe Darriet, et la fragilité de ces arômes est d'autant plus grande que la teneur en SO 2 libre est faible. ' Le fruit peut être perdu pendant les premiers mois d'élevage. ' Pour un grand vin, c'est moins grave car il aura du bouquet. Pour un vin de petite origine, c'est définitivement perdu. '
Les thiols sont particulièrement sensibles à l'oxydation. Or, l'oxygène est indispensable à l'évolution des rouges. Il faut donc gérer les apports en oxygène par rapport au vin que l'on souhaite élaborer. ' Il faut oxygéner en début d'élevage . '
Outre l'oxydation, il existe d'autres causes de pertes de l'arôme fruité. Après la fermentation alcoolique, il se produit une hydrolyse chimique des esters. Elle se solde par la régénération des acides et des alcools correspondants, qui sont bien souvent sans goût. ' La dégradation des arômes fruités fermentaires est plutôt lente ', tempère Raymond Baumes, à l'Inra de Montpellier. On peut compter un à deux ans. La durée de conservation de ces arômes diminue lorsque la température augmente et que le pH décroît. Elle dépend aussi de leur nature chimique. Les acétates d'alcools supérieurs sont ceux qui se dégradent le plus rapidement. ' L'acétate d'isoamyle en particulier est très fragile ', estime Rémy Schneider, de l'ITV à Montpellier. Pour préserver les arômes fruités, il est donc indispensable de respecter deux règles de base : conserver les vins à basse température et les protéger contre l'oxydation. Cependant, tous les arômes ne sont pas fragiles. Il peut même s'en former en cours de conservation, comme le 2-méthylpro- panoate d'éthyle à l'odeur de fraise, et les 2 et 3-méthyl- butanoate d'éthyle aux notes de petits fruits rouges très prononcées. Tous deux sont des esters. ' Si le rouge est élevé sur lies avec bâtonnage, l'autolyse des levures relargue des esters ', ajoute Rémy Schneider.
Notons toutefois que ni l'élevage sur lies, ni le passage sous bois ne sont des pratiques recherchées pour l'élaboration de vins fruités. On privilégie d'autres méthodes : une clarification précoce, la conservation en cuves réfrigérées entre 12 et 18°C et une mise en bouteilles précoce.
Dans la syrah, certains composés peuvent apparaître au cours du vieillissement, en quantités relativement élevées, notamment du diméthylsulfure. Cette molécule soufrée renforcerait les notes fruitées. La réputation de la syrah de donner des vins réducteurs pourrait être due à cet arôme. Comme le remarque Jean-Luc Le Quéré, ' les notes fruitées ne disparaissent pas forcément avec le temps. On retrouve typiquement le cassis sur de vieux gevrey-chambertin, et la framboise sur des chambolle-musigny âgés '.