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La culture en chaintres

La vigne - n°141 - mars 2003 - page 0

Denys Lussandeau, un vigneron du Loir-et-Cher, a inventé la culture en chaînes traînantes le long du sol. Il a pu labourer et faire l'économie des échalas.

Vers 1840, le Loir-et-Cher possède environ 26 000 ha de vigne, qui produisent 800 000 hl de vins par an et font vivre 18 000 familles. Parmi ces vins, plus de rouges que de blancs. Une large place est accordée au cot qui, selon le vocabulaire de l'époque, donne des vins frais, c'est-à-dire à la fois corsés, colorés et de garde. La plupart des cépages blancs sont conduits sans échalas (on compte alors jusqu'à neuf cornes par souche), mais les cépages noirs sont toujours échalassés. La vigne est plantée serrée, de 0,66 à 1 m en tous sens.
Or, à cette époque, le bois est de plus en plus cher. En l'espace d'une vingtaine d'années, il a doublé alors que la monnaie-or est stable. Cette augmentation est la conséquence de la grande déforestation qui dure depuis le XVII e siècle.
En 1841, Denys Lussandeau, humble vigneron du hameau de Beaune, commune de Chissay, près de Montrichard, hérite de son père de terres valant environ 3 000 F. Petit propriétaire, il a le souci de ne pas produire seulement du vin, car il faut vivre sans avoir à acheter blé et fourrage. De plus, la culture traditionnelle de la vigne demande trop d'investissements. Il ne veut pas planter serré, ni travailler à la houe. Il veut utiliser la charrue pour toutes ses façons.

Denys Lussandeau plante donc la vigne en rangs distants de 12 m, les souches étant à 2 m les unes des autres. Sur une distance de 1 m de part et d'autre du rang, il travaille à la main. Dans l'entre-rangs de 10 m de large, labouré à la charrue, il sème blé ou fourrage artificiel. Ainsi, sur 1 ha de terre, la plantation de vigne n'occupe que 25 ares. Les 75 ares cultivés donnent 8 hl de blé et 300 bottes de fourrage. Quand les récoltes sont achevées, en juillet, notre vigneron étale les sarments sur l'espace récolté. Mais l'expérience dérape et il se rend compte qu'il ne peut pas mener de front la vigne et les cultures intercalaires. En effet, les ceps ont donné des sarments d'une longueur de 5 m. Comme ils ne doivent pas traîner à terre, ils sont soutenus de place en place par de petites fourchettes, appelées fourchines, en forme de y, d'une hauteur de 40 cm. Elles maintiennent les grappes au-dessus du sol, afin qu'elles ne pourrissent pas.
Notre vigneron réduit l'écartement entre les rangs, passant de 4 à 6 m au lieu de 12 m, les ceps étant toujours espacés de 2 m sur la ligne. Cette culture nécessite du fumier. Il utilise bruyère, ajonc et menus branchages ' consommés ' par le piétinement des bêtes et des hommes dans les chemins et les cours. Soit l'équivalent, tous les cinq ans, de 2 000 fagots à l'hectare enterrés dans des fosses de 60 à 70 cm de large, ouvertes à 50 cm du rang. Ce mélange sert de fumure et de drainage. La rentabilité du système est certaine, car il faut moins de main-d'oeuvre et moins d'échalas. Les fourchines ne représentent pas un coût excessif, étant préparées dans du petit bois. Souvent, on se contente de fendre une extrémité du bois qui portera le sarment. De nombreux vignerons l'imitent en arrachant trois rangs sur quatre de leur vigne traditionnelle. A la ferme-école des Hubaudières, près de Loches, une souche de pineau blanc couvre 6 ares. Les bonnes années, elle donne 1,5 pièce de vin (de 245 l). On cite des rendements de 150 hl/ha sur une parcelle de 25 ha. Après la vendange, on relève les bras des chaintres en une ligne étroite sur l'espace pioché à la main, pour labourer à la charrue l'espace intercalaire.
Mais bientôt, on s'aperçoit des inconvénients du système. Traînant presque à terre, la vigne est plus sujette aux gelées printanières. Au cours des années humides, les raisins qui touchent presque le sol pourissent plus vite. Les maladies cryptogamiques sévissent avec plus d'intensité. Vient le temps du phylloxera et de la replantation qui amènent non plus la culture en treilles horizontales (les chaintres), mais la conduite sur fil de fer, elle aussi moins onéreuse que les échalas.

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