Cépage très ancien quasiment disparu, le gouais est l'ancêtre de 78 cépages actuellement cultivés dans le monde, notamment en Europe centrale et dans l'Est français.
Le gouais a été largement cultivé dans une grande partie de l'Europe. Il a porté toutes sortes de noms : 104 synonymes sont recensés, dont certains désignent des cépages que l'on pensait distincts du gouais et qui lui sont aujourd'hui clairement identifiés grâce à la génétique : par exemple, le bouillenc, le gueuche blanc et le heunisch blanc. Ce dernier tire son nom de son origine : il aurait été apporté par les Huns depuis la Croatie, vers le IV e siècle de notre ère.
Le gouais s'est ensuite répandu rapidement dans l'Europe centrale, l'Allemagne et la France. Ses atouts pour un développement si rapide : rustique, il s'adapte facilement aux conditions de culture et de sols variés. Il est productif, ce qui est un avantage à une époque où l'on ne récolte guère plus de 25 hl/ha. De plus, son jus acide facilite la conservation, mais donne des vins que l'on qualifie, dès le Moyen Age, de piquette.
D'ailleurs, l'étymologie du gouais témoigne d'un certain mépris. Il pourrait tirer son nom de l'adjectif gou, qui désigne des vignes médiocres, ou gueux et même gueule. Sa productivité et la médiocrité de ses vins se retrouvent dans l'un des synonymes employés dans le Sud-Ouest : saboule boey, qui signifie rassasie-bouvier.
Du fait de ces piètres qualités oenologiques, il a aujourd'hui quasiment disparu : on ne compte plus que quelques plants disséminés de président, synonyme employé dans le Sud-Ouest, et une parcelle sous le nom de plant de séché en Haute-Savoie. Il n'est pratiquement plus représenté que dans la collection de l'Inra, au domaine de Vassal (Hérault). Elle a servi de base à l'étude génétique qui a établi la descendance du gouais.
Ce cépage survit encore dans le vignoble par le biais des nombreuses variétés dont il est l'ancêtre. C'est ce qu'ont démontré les travaux menés par Jean-Michel Boursiquot, Patrice This et Thierry Lacombe, de l'Inra de Montpellier, en collaboration avec Carole Meredith et John Bowers, de l'université de Davis (Californie) et de Géorgie. Ils ont étudié les microsatellites, qui sont une partie du génome mettant en évidence des liens de parenté.
En examinant le génome des 630 cépages majeurs de la viticulture (les 500 cépages français et les principales variétés internationales), ils ont pu établir la parenté de 78 cépages avec le gouais. 21 d'entre eux sont issus d'un croisement avec le pinot noir : le chardonnay, l'aligoté, l'auxerrois, le melon de Bourgogne et le gamay en sont quelques exemples des plus étonnants. Certes, le pinot noir est un parent ' noble '. Mais le gouais est loin de mériter ce qualificatif. ' Les deux cépages sont génétiquement très distants, ce qui favorise l'apparition de croisements intéressants ', explique Jean-Michel Boursiquot.
Les résultats ne sont pas moins étonnants pour les autres descendants du gouais. On y retrouve pêle-mêle : la jacquère de Savoie, le grolleau du Val de Loire, le colombard, la muscadelle ou la folle blanche, mais aussi l'aramon et le riesling, sans parler du furmint, dont est issu le tokaj hongrois.
Pour ces cépages, le deuxième parent n'a pas encore été identifié. Toutefois, précise Jean-Michel Boursiquot, ' cette parenté explique des ressemblances, que l'on avait notées au niveau ampélographique, entre cépages de régions éloignées, comme entre la jacquère et la muscadelle '.
Cette nombreuse descendance qualitative d'un cépage banni du vignoble tend surtout à démontrer les intérêts de l'hybridation. Au Moyen Age, la propagation de la vigne se faisait soit par bouturage, soit par semis de pépins. Le gouais était vraisemblablement cultivé en association avec d'autres cépages. Cette technique permettait à la fois de disposer de raisins intéressants en assemblage, mais aussi de donner naissance à de nouvelles variétés, issues de croisements. On ne sait pas si le choix de ces mélanges et la sélection des plants en résultant étaient conscientes. En revanche, cette méthode de culture semble être à l'origine de la plupart des cépages actuels : ceux issus de la sélection de raisins sauvages seraient très rares. Nos ancêtres se sont sans doute contentés de rechercher dans leurs parcelles les sujets les plus intéressants à multiplier. L'hybridation est une voie de diversification et d'amélioration qualitative, apparemment quels que soient les parents. ' Certaines régions d'appellation s'y intéressent ', constate Jean-Michel Boursiquot.