Pour expliquer le fait que les vins rouges s'assouplissent en cours d'élevage, on prétend que leurs tanins se condensent en des molécules de grande taille peu astringentes. Selon des recherches récentes, c'est faux.
'L'astringence n'est pas un goût, mais une sensation tactile qui provient de la précipitation des tanins du vin avec les protéines de la salive ', précise Stéphane Vidal, à l'Inra de Montpellier. Cette sensation concerne toute la cavité buccale. Il s'agit de la différencier du goût amer, dû à certains tanins, notamment des acides phénols, perçu par le dégustateur au fond de la langue.
Les travaux menés à la faculté d'oenologie de Bordeaux, par Yves Glories et Marie Mirabel, ont conduit, ces dernières années, à un classement des tanins du vin en trois groupes de poids moléculaire différent.
D'abord, les chercheurs distinguent de petites molécules. Ce sont des complexes tanins-anthocyanes, des catéchines (molécule de base des tanins) ou des courtes chaînes de procyanidines (tanins condensés). Ces substances sont responsables de sensations agressives, amères et astringentes.
Ensuite, on trouve des tanins polymérisés, de taille plus importante. Enfin, des molécules sous forme d'agrégats, de colloïdes appelés micelles. Selon Yves Glories, cette dernière catégorie correspondrait aux tanins les plus astringents : ' En fait, la capacité des tanins à réagir avec les protéines de la salive dépend de l'état physique de ces molécules dans le vin . ' Agglutinés sous forme de micelles, les tanins seraient les plus réactifs vis-à-vis des protéines salivaires.
Les polysaccharides jouent également un rôle dans la sensation d'astringence. ' Les petits vins rouges ont des teneurs moyennes en polysaccharides proches de 100 mg/l. Les grands vins rouges bordelais en contiennent de 800 à 900 mg/l. Ces sucres à longues chaînes recouvrent les micelles et, par là même, empêchent l'association des tanins aux protéines salivaires. ' Il s'agit en quelque sorte d'une inactivation traduite par les notions peu rigoureuses de tanins ' enrobés ', de gras, de moelleux. Plus encore que la teneur en polysaccharides du vin, la qualité de la vendange revêt une importance primordiale. Un raisin insuffisamment mûr, riche en tanins de pépins, donnera des vins maigres et astringents, quelle que soit la richesse en polysaccharides.
Empiriquement, on sait que l'élevage assouplit les rouges. Scientifiquement, l'explication n'est pas évidente. Jusque-là, on pensait que les tanins se polymérisaient au cours du temps et que cela les affinait.
De récents travaux, menés par l'Inra de Montpellier et l'Australian Wine Research Institute (Awri), indiquent tout le contraire. L'étude est novatrice et sérieuse : elle repose sur des dégustations pratiquées par un jury de seize personnes, suivies d'analyses statistiques répétées. Ces experts ont goûté des vins synthétiques (appelés solutions modèles), enrichis de fractions purifiées et bien caractérisés de tanins.
Tout d'abord, ' il est apparu, en solutions modèles, que le degré de polymérisation des tanins diminue avec le temps et que les tanins se recombinent à d'autres substances ', annonce Stéphane Vidal. Les tanins du raisin sont des molécules très réactives, qui évoluent vers d'autres composés.
Pour mener leurs recherches, l'Inra et l'Awri se sont servis de tanins de raisin et de pomme, de degrés de polymérisation (DP) différents et provenant soit des pépins, soit de la pellicule. Les tanins ont une structure moléculaire différente selon leur origine dans le raisin. Ceux extraits des pépins sont, en moyenne, plus petits (DP 6) que ceux issus des pellicules (DP 25). De plus, les unités de base qui les constituent sont différentes. Or, leur composition aurait une grande influence sur l'astringence. On sait que les tanins de pépins, même mûrs, sont toujours plus astringents que ceux de pellicule.
L'étude a permis de comparer des tanins de même DP, mais de composition différente, et des tanins de nature similaire, mais de DP variés. En vins modèles, il est apparu que plus le DP est élevé, donc plus le tanin est gros, plus l'astringence est élevée, contrairement à ce que l'on croyait jusque-là. A cela s'ajoute la confirmation de l'influence de l'origine des tanins : elle est supérieure à celle du DP, ce qui explique la forte astringence des tanins de pépins, pourtant plus petits que ceux de pellicule.
Au cours de l'évolution du vin, ses teneurs en anthocyanes libres et en tanins condensés chutent. Parallèlement, la concentration en complexes tanins-anthocyanes augmente. Or, ce sont de petites molécules, donc moins astringentes. La structure tannique évoluerait vers des molécules de plus petite taille, ce qui expliquerait l'assouplissement des vins rouges élevés. De plus, on apprend que les tanins ne précipitent pas au-delà d'une certaine taille, mais du fait de leur complexation avec des protéines.
A Bordeaux, Yves Glories explique l'assouplissement des tanins par trois événements : la précipitation des complexes qu'ils forment avec des protéines, la modification de la structure colloïdale et la réaction avec les polysaccharides. Les recherches sont loin d'être achevées. Prochaine étape à Montpellier : observer, toujours en vin synthétique, les interactions des tanins avec d'autres constituants naturels comme les anthocyanes, les polysaccharides, et leurs conséquences sur les qualités gustatives finales.