L'observation visuelle reste le moyen le plus utilisé pour juger de la nutrition azotée, mais plusieurs outils permettent de peaufiner le diagnostic en saison.
'La première chose à faire pour apprécier la nutrition azotée d'une vigne est d'observer la couleur du feuillage, une carence en azote provoquant un pâlissement ', conseille André Perraud, du CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). Toutefois, vignerons et techniciens cherchent à s'appuyer sur des méthodes précises d'apprécia- tion de la nutrition azotée.
Les premiers outils disponibles sont les analyses pétiolaires ou foliaires. Elles renseignent non seulement sur les teneurs en azote (N), mais aussi sur d'autres éléments comme le potassium (K), le magnésium (Mg), le phosphore (P)... La chambre d'agriculture de Gironde propose de telles prestations. ' Il faut compter 33 euros pour une analyse foliaire simple : N, P, K, Mg, et environ 17 euros pour uniquement N. Toutefois, l'azote seul est peu demandé, car les vignerons préfèrent avoir un diagnostic de l'ensemble des éléments ', déclare Pascal Guilbault.
Chez Eserca, une société spécialisée dans la nutrition des plantes pérennes en Haute-Garonne, ' une analyse complète des éléments majeurs N, P, K, Mg et calcium (Ca) et des oligo-éléments fer (Fe), zinc (Zn), manganèse (Mn), cuivre (Cu) et bore (B) coûte 42 euros. Pour le commentaire des résultats, il faut rajouter 10 euros ', explique Philippe Weibel. Mais le principal inconvénient des analyses de pétioles ou de feuilles vient du délai entre les prélèvements et les résultats. Il faut compter deux à trois semaines. C'est incompatible avec la correction rapide d'une carence.
D'autres outils permettent d'avoir une information spontanée. Challenge Agriculture (Indre-et-Loire) a mis au point un spectrophotomètre, qui analyse les concentrations des anions et des cations de la sève. Le Nutrichek affiche, en quelques minutes, les concentrations de six éléments (N, P, K, S, Ca, Mg). Le prix de la mallette complète, contenant l'appareil et tous les accessoires nécessaires, s'élève à 870 euros.
A Bué (Cher), un groupe de six vignerons a acquis, depuis l'année dernière, deux de ces appareils : ' Pour les apports d'azote, nous devons intervenir à des doses homéopathiques, et tout de suite. Il ne faut ni gavage, ni famine, mais une adaptation à l'année. Le Nutrichek donne une réponse plus rapide qu'une analyse foliaire. Pour l'instant, nous manquons de recul et nous essayons d'adapter les périodes d'analyses .'
Jean-Marie Balland, conseiller en viticulture à Bué, explique leur démarche : ' Dans un premier temps, ils font une analyse de sarments pour mesurer les taux de sucre et d'amidon dans la plante, et définir si la vigne a assez d'azote pour redémarrer l'année. En fonction des résultats, de la vigueur perçue et de leurs attentes, un premier apport d'azote liquide nitrique, inférieur ou égal à dix unités, est effectué sous le rang. Ensuite, au stade grappes séparées, ils font une première analyse au Nutrichek pour mesurer l'azote nitrique et, éventuellement, une petite correction inférieure à dix unités. Au début de la floraison, une autre analyse au Nutrichek est effectuée afin de vérifier le bien-fondé de cette nutrition. En cas de gros problème, un apport exceptionnel est réalisé. Enfin, ils font un dernier Nutrichek lors de la fermeture de la grappe dans un objectif de traçabilité, dans le but d'établir le lien entre les pratiques de l'année et les caractéristiques des moûts . '
François Dal, de la Sicavac à Sancerre (Cher), précise qu'il faut faire attention à l'interprétation des résultats. ' Concernant l'azote, il y a trois paramètres à analyser : l'azote nitrique, l'azote soluble et l'azote ammoniacal. L'inconvénient du Nutrichek est qu'il ne dose pas l'azote soluble. Il peut révéler une carence en N nitrique et en N ammoniacal alors qu'en fait, il y a beaucoup d'azote soluble. '
Un autre appareil, mis au point par le centre de recherche agronomique du pôle d'Aspach (Haut-Rhin), utilise la fluorimétrie. Il mesure la photosynthèse à un instant donné et définit le flux d'éléments dans la plante. Il permet de caractériser les éléments minéraux (N, Mg, B, Mn, Fe, Ca) mis en cause lors d'un dysfonctionnement, dix à vingt jours avant l'apparition des symptômes. ' On peut assimiler les analyses foliaires aux analyses de sang, alors qu'avec la fluorimétrie, on s'appuie plutôt sur l'électrocardiogramme. Mais les deux méthodes sont complémentaires ', rapporte Luc Wattelle, de la société SCPA Agro Nutrition qui développe la technique.
Sylvain Michel, responsable du département agronomie du laboratoire du centre de recherche et de développement oenoagronomique, à Suze-la-Rousse (Drôme), en partenariat avec SCPA, propose les analyses fluorimétriques et leur interprétation, en prestation de service depuis 2002, pour un coût d'environ 56 euros. ' L'intérêt de la technique est le résultat immédiat. Le vigneron peut détecter une période de stress avant l'apparition des symptômes et réaliser la correction avant que le problème ne devienne conséquent. Et il n'y a pas de contrainte de date de mesure ou de prélèvement ', rapporte-t-il.
Enfin, le N-tester, de la société Hydro Agri France (Hauts-de-Seine), mesure la concentration en chlorophylle des feuilles. Cet indice chlorophyllien est corrélé à la teneur en azote. Des essais réalisés en Suisse, à la station fédérale de recherches en production de Changins en 1997, ont montré que cette méthode, non destructive, présente de bonnes corrélations avec l'azote déterminé dans les feuilles et les moûts. Pascal Guilbault rapporte qu'effectivement, les résultats du N-tester sont bien corrélés avec d'autres indices. En revanche, selon André Perraud, ' la méthode n'est pas encore finalisée. Cependant, le N-tester est un outil intéressant, car il permet de s'affranchir des variations dues aux notations visuelles '. Cet appareil est développé en grandes cultures à un prix de 1 450 euros HT, mais n'est pas encore opérationnel en viticulture.
Reste que pour beaucoup de techniciens, mis à part le diagnostic visuel, c'est le dosage de l'azote dans les moûts qui est l'indicateur le plus fiable de la nutrition azotée.