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Les Brettanomyces

La vigne - n°143 - mai 2003 - page 0

Les ' Brettanomyces ' sont souvent présentes dans les vins où elles peuvent être responsables des goûts phénolés. Hygiène et SO sont les seules clés pour les contrôler.

Les Brettanomyces, aujourd'hui redoutées, ont longtemps été tolérées, parfois appréciées. On leur a attribué des ' goûts de terroir ', recherchés dans certains vins, qui sont en fait liés à la présence de phénols volatils, plus particulièrement l'éthyl-4-phénol (E4P) et l'éthyl-4-gaïacol (E4G). Leur seuil de perception se situe autour de 470 µg/l pour la somme des deux composés, avec un ratio de 8 E4P pour 1 E4G. Autour de ce seuil, les arômes perçus sont du type cuir. A de plus fortes concentrations, ils tirent vers l'urine de cheval.
' Les Brettanomyces doivent être considérées comme des levures de contamination ', explique Béatrice Vincent, de l'unité ITV France à Beaune. Selon les travaux mené par cet institut sur des vins rouges de toutes régions, les profils organoleptiques des vins sont très rapidement modifiés par ces éthyl-phénols, et de façon rédhibitoire. Quel que soit le cépage et la région d'origine, ils accentuent les notes animales et gomment les arômes fruités et floraux.
Les précurseurs de ce métabolisme sont des acides phénols : l'acide paracoumarique pour l'E4P et l'acide férulique pour l'E4G. Une première enzyme (cinnamate-décarboxylase) transforme ces précurseurs en vinyl-phénols; une seconde (vinyl-phénol-réductase) donne naissance aux éthyl-phénols. La levure de vinification Saccharomyces cerevisiae produit ces deux enzymes, mais la première est inhibée par les polyphénols, donc inactive dans les vins rouges, ce qui n'est pas le cas des Brettanomyces.
Autre reproche fait aux Brettanomyces : elles sont souvent incriminées dans les fermentations languissantes, mais aucune étude n'a pu mettre en évidence leur responsabilité à ce niveau. En revanche, elles peuvent être responsables de goûts de souris, comme d'autres micro-organismes.

Cette levure de contamination est peu exigeante quant à ses conditions de vie. Si elle pousse mieux en présence d'oxygène, elle n'en a pas absolument besoin. Les quelques grammes de sucres résiduels présents dans les vins secs lui suffisent pour se développer. Elle n'est sensible qu'à des niveaux de SO 2 moléculaire élevés ou à de fortes acidités. Les basses températures ralentissent son développement.
Les pratiques actuelles tendant à limiter l'emploi de SO 2 et les filtrations lui sont donc favorables. ' Ce n'est qu'à 30 mg/l de SO2 libre que le développement est freiné. Mais ce n'est pas dans les moeurs des vinificateurs ', regrette Béatrice Vincent. Et Pascal Chatonnet, du laboratoire Excell, à Mérignac (Gironde) de renchérir : ' A des pH au-delà de 3,8, le SO2 est de moins en moins efficace. A 4, il n'y a plus de SO 2 moléculaire. ' Le lysozyme n'est pas efficace sur les Brettanomyces. Il n'affranchit pas le vinificateur de la nécessité du sulfitage en fin de fermentation malolactique.
Deux phases de risque sont à surveiller plus particulièrement. La période de latence entre la fermentation alcoolique et la malo doit être la plus courte possible pour ne pas laisser le champ libre aux Brettanomyces. Il n'est pas certain qu'il y ait des interactions entre les levures ou les bactéries lactiques et les Brettanomyces. La présence de populations actives de bactéries aurait tout de même plutôt tendance à la gêner, par un appauvrissement accéléré du milieu. Autre phase sensible : la fin de la fermentation malolactique, quand la population de bactéries lactiques décroît. Les apports fractionnés de SO 2 à ce stade sont moins efficaces que l'adjonction de la même quantité en une seule fois.
Quant à l'incidence du bois, elle n'est pas encore clairement explicitée. L'ITV de Beaune doit examiner la possibilité de formation de biofilms en surface. ' L'emploi de barriques usagées peut être un facteur aggravant ', selon Pascal Chatonnet, si l'on n'est pas très rigoureux sur le nettoyage des fûts. Les désinfections chimiques sont insuffisantes, car elles ne pénètrent pas dans le bois.
Seuls sont efficaces les procédés thermiques (eau chaude et vapeur), mais ils sont plus compliqués à mettre en oeuvre. Pour limiter les risques de développement, la solution réside surtout dans de bonnes pratiques de vinification, en utilisant des doses suffisantes de SO 2 et en appliquant des procédures d'hygiène strictes. D'autant que ces levures ne sont pas aussi rares qu'on le croit.

Si elles ne donnent pas toujours lieu à des déviations, elles sont présentes dans 50 % des vins en cours d'élevage et dans 25 % de ceux-ci après mise en bouteilles, selon une enquête de l'ITV de Beaune sur des vins bourguignons. Il faut donc s'assurer que les conditions ne sont pas propices à leur développement. De plus, on a cru pendant longtemps que c'était un micro-organisme inféodé au matériel vinaire, mais il pourrait provenir de la vendange.
On redoute notamment les contaminations de parcelles proches de bassins de décantation d'effluents. Cette possibilité semble confirmée par de récents travaux américains, qui ont mis en évidence la présence de Brettanomyces dans des échantillons d'air de cave. C'est la première fois que l'on démontre que la contamination des vins n'est pas obligatoirement subordonnée à un contact direct et qu'elle peut être liée à une pollution atmosphérique.
L'application de règles d'hygiène strictes est d'autant plus nécessaire que les sources de contamination sont nombreuses. En outre, la détection de ces micro-organismes est encore difficile. Les méthodes classiques de culture sur boîte de Pétri ne donnent des résultats que sept jours après le prélèvement, ce qui peut être trop tard en cas de contamination. Les techniques de biologie moléculaire (PCR) ne sont pas spécifiques des levures vivantes. Quant au dosage de l'éthyl-4-phénol et de l'éthyl-4-gaïacol, il faut qu'il soit très précoce pour être efficace. C'est la méthode que propose, notamment, le laboratoire Excell, qui suit mensuellement les concentrations de ces composés alors qu'ils sont encore très en-deçà du seuil de détection, afin de tirer la sonnette d'alarme dès leur augmentation. De son côté, l'ITV de Beaune travaille à développer une méthode basée sur l'ATPmétrie (technique qui permet de repérer une activité microbienne) en la rendant spécifique.





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