Le SO n'élimine pas les bactéries lactiques et acétiques d'un vin en fût. Il permet seulement de contrôler les niveaux de population et d'activité de ces germes.
Le vinificateur redoute la présence de bactéries acétiques pendant l'élevage, car elles risquent d'augmenter l'acidité volatile. Pour s'en débarrasser, il dispose de plusieurs outils, notamment le sulfitage. Malgré cela, selon une thèse de Vincent Millet, à la faculté d'oenologie de Bordeaux, il est impossible de les éradiquer complètement : ' La présence de bactéries acétiques à une concentration de 100 à 1 000 unités formatrices de colonies (UFC) par millilitre de vin doit être considérée comme naturelle . '
Ces unités formatrices de colonies sont les bactéries capables de se développer sur un milieu synthétique de laboratoire.
Mais ce ne sont pas les seules bactéries vivantes dans le vin. Les bactéries acétiques et lactiques persistent dans le vin sous des formes de survie qui leur permettent de reprendre une croissance en conditions favorables. Elles ne sont pas mortes, mais seulement en latence.
Ainsi, au cours de l'élevage, elles alternent des cycles de croissance et des phases de latence selon les conditions du milieu.
En effet, les bactéries acétiques ont besoin d'oxygène pour se développer. Elles se multiplient rapidement à la suite des soutirages, qui oxygènent le vin. Quelques jours après le soutirage, leur population se stabilise à environ 10 000 UFC/ml. Cette multiplication engendre une production d'acide acétique de 15 à 55 mg/l, soit une augmentation d'acidité volatile de 0,01 à 0,05 gH 2SO4/l. A mesure que l'oxygène disparaît, la population de bactéries acétiques décroît et passe sous une forme de survie capable de se développer au prochain soutirage. Malgré les désinfections régulières de barriques, elles survivent dans les premiers millimètres de bois et il est quasiment impossible de les éradiquer.
' Un taux de SO2 libre de 20 mg/l n'empêche ni leur survie, ni leur multiplication ', insiste Vincent Millet. A des doses supérieures, l'efficacité du SO 2 dépend du pH. A un pH de 3,5, un niveau de SO 2 libre de 30 mg/l permet de se débarrasser des bactéries acétiques, ce qui n'est plus vrai à 3,7 où les populations restent à leurs niveaux initiaux. A 3,9, on n'observe pas d'effet non plus sur les bactéries lactiques. De plus, les composés phénoliques du vin protègent les bactéries à l'égard de la toxicité du SO 2. Dans certains cas, il est donc illusoire de penser se débarrasser de ces germes, même en sulfitant à des doses considérées comme importantes.
Si le SO 2 n'est pas suffisant pour se débarrasser des bactéries, ce n'est pas pour autant qu'il faut s'en dispenser. Il est indispensable à un bon contrôle des populations microbiennes : s'il ne les tue pas, il freine leur multiplication. Il reste nécessaire pour se prémunir contre d'autres contaminations, comme les Brettanomyces.
Dans les vins bien sulfités, les bactéries restent vivantes, mais pas forcément actives. Par conséquent, les comptages microbiologiques classiques ne permettent pas de les détecter, ce qui peut laisser croire qu'elles sont absentes. De plus, Vincent Millet a montré que sous leur forme de survie, les bactéries avaient une taille réduite, qui n'est pas retenue par des filtres de 0,45 µm, réputés stérilisants en oenologie. La filtration stérile paraît donc une utopie. Constat alarmant ? Pas forcément, au vu des résultats que Vincent Millet a obtenu lors de ses travaux de thèse. Il a mis en évidence que les bactéries acétiques et lactiques interagissent pour limiter la formation d'acidité volatile.
Lors de leur multiplication, les bactéries acétiques transforment l'éthanol en éthanal, puis en acide acétique, responsable de la montée en volatile. Les bactéries lactiques sont capables d'utiliser l'éthanal pour le transformer en éthanol, privant ainsi les bactéries acétiques. Les niveaux d'acidité volatile en présence des deux germes sont de deux à quatre fois inférieurs à ceux mesurés quand le vin ne contient que des bactéries acétiques.
Il faut donc apprendre à vivre avec des micro-organismes dans le vin. Ce qui peut se faire en toute tranquillité, à condition de respecter des règles d'hygiène, de sulfiter correctement et de prendre toutes les précautions pour une bonne conservation en bouteilles. Il n'est pas rare, selon Vincent Millet, de détecter des Brettanomyces et des bactéries viables dans des bouteilles de vingt à vingt-cinq ans, sans que leur métabolisme ait été suffisant pour altérer le vin. Si les conditions deviennent favorables, par exemple si le bouchage est défectueux, les micro-organismes risquent de passer de la forme de survie à la forme active, et d'engendrer des déviations, alors que les comptages microbiologiques classiques n'avaient pas révélé leur présence au moment du conditionnement. Seul un comptage par épifluorescence peut donner la mesure du risque de déviation en bouteilles.