Peu de vignerons éclaircissent leurs parcelles avec le Sierra du fait de sa mise en oeuvre difficile. Pourtant, cette technique, moins coûteuse que l'éclaircissage manuel, améliore la qualité des raisins.
L'éclaircissage chimique avec le Sierra est une technique très marginale. ' Seuls 20 000 ha sont traités avec ce produit. 4/5 e des applications se font à la mi-véraison pour améliorer la coloration des cépages rouges. L'utilisation dans le cadre de la maîtrise des rendements et de l'élimination des queues de floraison reste très anecdotique, eu égard à sa complexité de mise en oeuvre ', constate Dominique Steiger, responsable de la gamme clients chez Bayer CropScience.
L'éthéphon, matière active du Sierra, agit sur la synthèse naturelle d'éthylène dans la plante. Il en résulte, selon l'époque d'application, une accélération des phénomènes de chute (abscission) de grappes, de partie de grappes ou de baies, une accélération des phénomènes de maturation, une stimulation de la synthèse des polyphénols, anthocyanes et tanins, et un arrêt provisoire de la végétation. Aujourd'hui, en raison de ce mode d'action et pour ne pas heurter le grand public, on préfère parler d'éclaircissage physiologique. Dans le cadre de la maîtrise des rendements, son efficacité est étroitement liée au stade des grappes au moment du traitement. A chaque taux d'éclaircissage souhaité correspond une date de traitement.
Ainsi, aux stades 26 ' tout début nouaison ' et 27 ' nouaison ', l'ensemble des grappes est éliminé. Au stade 29 ' baies de la taille d'un grain de plomb ', l'efficacité est de 50 %, au stade 30 ' baies de la taille d'un petit pois ', elle est de 35 %, et au stade 33 ' fermeture de la grappe ', elle est nulle.
L'observation des vignes est donc primordiale, sous peine de perdre toute sa récolte, si jamais l'intervention est faite trop tôt. ' Ce ne sont pas des traitements que l'on décide seul, mais avec des personnes averties. Dix yeux valent mieux que deux pour discuter du choix de la date en fonction du stade de la vigne. Le Sierra est à utiliser avec beaucoup de prudence et de parcimonie ', explique Patrick Germain, du château Bellevue-Laforêt, à Fronton (Haute-Garonne), qui pratique l'éclaircissage physiologique sur environ 60 ha des 112 ha que compte l'exploitation. Propos confirmés par Alain Escarguel, technicien au centre de conseil agricole, à Fronton, qui précise qu'' il vaut mieux choisir des parcelles homogènes et travailler dans la zone de sécurité, c'est-à-dire viser un éclaircissage de l'ordre de 30 % '.
La firme CFPI, à l'origine du produit, a mis au point une technique permettant de déterminer le taux d'éclaircissage probable (TEP). Il s'agit, dans un premier temps, d'estimer le potentiel de récolte. Ensuite, le vigneron choisit cinq séries de cinq souches, représentatives de la parcelle. Sur chacune des souches, il compte le nombre de grappes et les classe selon leur stade. En faisant la moyenne pondérée des résultats, il obtient un stade moyen auquel correspond un TEP. Si celui-ci correspond au taux d'éclaircissage souhaité, il devra intervenir immédiatement ; sinon, il devra refaire les observations et le calcul plus tard. ' Au début, j'utilisais ce système. Aujourd'hui, je fais juste un effeuillage avant de passer dans les vignes pour avoir une observation plus efficace. J'ai vite fait d'estimer le rendement et le stade, car je connais bien mes parcelles ', rapporte Alain Vignolles, vigneron à Fronton.
Toutefois, il existe des différences de sensibilité selon les cépages, le grolleau et le chenin étant particulièrement réceptifs. Des essais réalisés par l'ITV de Colmar (Haut-Rhin) montrent aussi que le gewurztraminer réagit fortement, rendant la technique risquée sur ce cépage. Les pinots et le sylvaner ont une réceptivité fluctuante d'une année sur l'autre. Le riesling réagit moins.
La pulvérisation est également importante. Le traitement doit être localisé et ciblé vers les grappes. Les appareils pneumatiques qui traitent face par face sont bien adaptés. ' La vigne sera d'autant plus réceptive au traitement, que ses stomates seront ouverts. Les applications le matin ou le soir sont plus efficaces ', conseille Alain Escarguel.
L'aspect pointu de la technique rebute de nombreux vignerons. Elle présente néanmoins des avantages par rapport à l'éclaircissage manuel. ' L'éclaircissage manuel coûte cher et demande une équipe qualifiée qu'il faut encadrer. Dans un contexte de pression économique et de production de vins de qualités, ils sont preneurs de cette alternative ', constate Alain Escarguel. En effet, un éclaircissage manuel coûte environ 460 euros/ha alors qu'un éclaircissage physiologique au Sierra coûte 91,50 euros/ha.
Cet aspect a séduit Jean-Paul Roumagnac, vigneron à Villematier (Haute-Garonne). Il possède 40 ha dont 13 ha de vignes, le reste en céréales. ' Trouver de la main-d'oeuvre est difficile. Or, à l'époque de l'éclaircissage manuel, je suis en pleine irrigation des grandes cultures et je ne suis pas disponible pour encadrer des saisonniers. J'ai commencé, il y a deux ans, l'éclaircissage physiologique sur 1 ha, car j'étais plutôt méfiant vis-à-vis de la méthode. J'avais peur d'être trop efficace, mais j'ai obtenu de bons résultats. Sur la négrette, où les grappes sont très compactes, j'ai eu des grappes beaucoup plus aérées. Actuellement, j'interviens sur des parcelles de syrah et de négrette, où malgré l'ébourgeonnage sévère en mai et l'enherbement, j'estime que le potentiel de récolte est encore trop élevé. Je me garde, néanmoins, une marge de sécurité, car jusqu'à la vendange, je ne suis pas à l'abri d'un aléa ', explique-t-il. Autre avantage, ' contrairement à l'éclaircissage manuel, il n'y a pas de compensation des baies ', explique Antoine Porte (ex-CFPI).
La résistance pelliculaire est renforcée, les baies éclatent moins, d'où une diminution de la pourriture grise. Il y a homogénéisation de la maturité, du fait de l'élimination des grains les moins mûrs. Il en résulte moins d'acidité, une amélioration du rapport marc sur jus, une augmentation du degré. Mais il ne faut pas croire que l'éclaircissage physiologique règle tous les problèmes.
' Il s'intègre dans une approche globale de maîtrise des rendements. Le vigneron doit d'abord gérer un ensemble de facteurs comme l'enherbement, le raisonnement de la taille et l'ébourgeonnage... Ensuite, selon ses objectifs de qualité et de production, il peut utiliser le Sierra en appoint ', conclut Alain Vignolles.