A Poligny (Jura), le sculpteur Jacques Thibaut, petit-fils, neveu et frère de vigneron, transforme des douelles, des plaques filtrantes ou des piquets en oeuvres d'art.
Jacques Thibaut a toujours ' baigné dans la viticulture '. L'idée de travailler sur la vigne et le vin lui est venue naturellement, depuis une quinzaine d'années. Et sa famille est devenue sa source d'approvisionnement en matériau. ' Ses domaines sont mes supermarchés ', dit-il. Plaques filtrantes, douelles de fût ou de tonneau, sulfate de cuivre en guise de pigment ou colorant, piquets en bois ou en fer, barriques réformées incrustées ou non de pierre à vin, capsules-congés... De préférence, il choisit des matériaux qui ont une histoire.
Tout a commencé avec les plaques filtrantes. Il cherchait un support original et pratique pour faire des impressions de gravure. Il est tombé sur des filtres usagés couleur lie de vin. Il les a trouvés ' magnifiques '. Depuis, il en produit régulièrement. Des fils de fer de la vigne, triés et martelés, sont même imprimés à l'occasion sur les filtres. Les capsules-congés sont déclinées à l'infini. Il les déchire, les martèle à l'enclume, brûle les éléments de plastique qui restent apparents, et les dispose sur des fonds blancs, en travaillant sur les alignements ou les empilements. Ce qui l'intéresse, c'est ce qui n'existe pas.
Ne croyez pas qu'à 53 ans, Jacques Thibaut agit de manière impulsive. Son art est une recherche réfléchie sur des thèmes successifs avec, toujours, un fil conducteur. Il travaille beaucoup dans l'abstraction avec des semblants de personnages, comme ce piquet de vigne sulfaté fendu en deux, sur lequel il a placé une évocation de tête et qui ressemble à un corps s'élançant. Ou ces deux sculptures monumentales de presque 2 m de haut et pesant jusqu'à 2 t : Dix Vins et La Gitane, édifiées en 1988. Des douelles sont empilées avec du métal et du béton, jusqu'à donner une forme abstraite et élégante malgré la masse.
Les grandes installations avec des mises en situation constituent un autre type de recherche menée par Jacques Thibaut. C'est le cas des migrateurs : une douelle, surmontée d'un petit galet rond, est fichée au bout d'une longue tige métallique, elle-même plantée dans une pierre du Jura. La composition, qui comprend dix-neuf éléments à des hauteurs différentes, disposés en triangle dans un cercle de 20 m, symbolise le vol des migrateurs à l'automne. ' Par extension, les migrateurs évoquent les saisonniers, les vendangeurs, la fête qui suit les vendanges . '
Le vieillissement du vin jaune est une autre source d'inspiration, sur lequel il a mené un travail de recherche artistique. Ainsi, Progression lente se veut un clin d'oeil ou un hommage à une production typique de la région. Des tonneaux sont disposés sur une moquette bleue, dans un espace clos, évoquant une cave et le temps. Le bleu et le parcours symbolisent l'espoir du vigneron qui, lorsqu'il met du savagnin en fûts, ne sait jamais si au bout de six ans et trois mois, il obtiendra effectivement du vin jaune.
La série des masques est plus classique. ' Ils sont moins symboliques que les migrateurs, la fin des vendanges ou le vieillissement du vin jaune , explique-t-il.
Jacques Thibaut réalise cinq ou six expositions par an dans différentes villes européennes. Un quart de ses oeuvres naît de matériaux que les vignerons côtoient quotidiennement.