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L'arôme terreux naît au coeur des grappes

La vigne - n°144 - juin 2003 - page 0

Une espèce de ' Penicillium ' est systématiquement présente sur les raisins qui donnent des vins au goût terreux. Elle se développe discrètement au coeur des grappes, en même temps que la pourriture grise. Les goûts de moisi apparaissent également au vignoble, sur des vendanges en mauvais état sanitaire.

Dans plusieurs régions viticoles, depuis quelques années, on note l'émergence de vins blancs et rouges présentant des défauts aromatiques à caractère fongique, moisi ou terreux. Ce phénomène n'est pas dû à des bouchons contaminés par des micro-organismes ou à une hygiène déficiente dans les chais. Il est associé à la qualité de la vendange. La récolte de vendanges botrytisées, marquées par des odeurs fongiques ou de moisi, n'est pas un phénomène récent. Jusqu'à présent, ces défauts ont toujours disparu au cours de la fermentation alcoolique ou pendant l'élevage.
En revanche, depuis quatre ans, des odeurs persistantes de terre humide ou d'humus sont apparues dans des vins de sémillon, cabernet-sauvignon, pinot et gamay. La faculté d'oenologie, en collaboration avec l'unité de santé végétale de l'Inra de Bordeaux (Gironde), souhaite préciser la nature de ces défauts et leur genèse.
La chromatographie en phase gazeuse a permis d'identifier différents composés volatils. Certains d'entre eux présentent des odeurs de champignon (1-octèn-3-one), de moisi (2-méthylisobornéol), et sont vite dégradés pendant la fermentation alcoolique.

D'autres molécules, exprimant des odeurs terreuses, persistent dans les vins. Plusieurs d'entre elles, retrouvées notamment dans des vins de pinot, sont en cours de caractérisation, mais le composé le plus fréquemment responsable d'un défaut terreux est la géosmine.
Cette substance a été retrouvée dans des moûts et des vins de cabernet-sauvignon du Bordelais, dans certains moûts et vins de sémillon issus des dernières tries de vendanges botrytisées de Sauternes, dans des vins de gamay provenant du Beaujolais, de Bourgogne et du Val de Loire. Quand on fait le bilan des teneurs en géosmine dans ces vins, les quantités peuvent dépasser six fois le seuil de perception olfactive du composé dans un vin rouge (60-65 ng/l).
Dans un vin, la géosmine peut se dégrader chimiquement au cours du temps : il faut environ deux mois à 20°C pour noter une diminution de 50 % de la teneur initiale, et huit mois à 10°C. Malgré tout, dans un vin rouge contenant 200 ng/l de géosmine, concentration très supérieure au seuil de perception olfactive, il faudra environ une année pour descendre en dessous de ce seuil.
Face à l'étendue du problème, dans les régions septentrionales en 2002, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, du commerce, et de la répression des fraudes) a autorisé, dans le cadre d'essais scientifiques soumis à la demande du viticulteur, des traitements curatifs permettant d'éliminer, en partie, la géosmine avec des produits non autorisés par le règlement de l'Union européenne (lait, huile de pépins de raisin).

La géosmine apparaît systématiquement associée à la présence de pourriture grise. En effet, dans le Bordelais, ce composé n'a jamais été détecté sur des grappes saines.
Depuis 1999, l'analyse de la microflore de grappes contenant de la géosmine a été réalisée sur plusieurs cépages (sémillon et cabernet-sauvignon) sur plusieurs sites du Bordelais. Elle a permis de mettre en évidence, en plus de Botrytis cinerea et de nombreux autres champignons, plusieurs espèces de Penicillium connues pour être responsables de pourritures blanches ou bleues. Parmi elles, une seule espèce capable de produire de la géosmine est systématiquement retrouvée sur les grappes analysées : Penicillium sp.1. Son identification a été validée par des techniques de biologie moléculaire et un test de détection rapide a été mis au point.
Diverses espèces de Streptomyces, bactéries du sol, également capables de synthétiser de la géosmine, n'ont été isolées que ponctuellement. Au vu des résultats, ces micro-organismes sont incapables de se développer sur les baies de raisin ou sur les moûts, en raison de l'acidité de ces bases nutritives.
En 2002, des analyses microbiologiques, réalisées à partir de grappes de gamay (Val de Loire, Beaujolais, Bourgogne) et pinot noir (Bourgogne), prélevées après la récolte sur des parcelles touchées par la géosmine, ont permis de confirmer nos résultats dans d'autres régions de production.
Une seule espèce de Penicillium, présente au coeur de la grappe et souvent invisible, apparaît donc toujours associée à Botrytis cinerea sur des raisins contenant de la géosmine. Paradoxalement, inoculée seule au laboratoire, cette espèce colonise les baies, la rafle et le jus de raisin, mais elle ne produit pas de géosmine. Aussi, l'étude des conditions de production de ce composé a permis de mettre en évidence l'influence de certains produits du métabolisme de Botrytis cinerea sur la synthèse de géosmine par le Penicillium. B. cinerea paraît donc jouer le rôle de ' préparateur ' de la base nutritive que constitue la baie de raisin, conduisant le Penicillium à produire la géosmine.
La présence de géosmine sur les raisins semble d'abord liée à l'installation de Botrytis cinerea et la récolte de grappes saines est essentielle pour s'en préserver. Il convient donc de mettre en place, sur les parcelles touchées, toutes les mesures de protection (prophylactiques, chimiques...) permettant de limiter, au maximum, le taux de pourriture grise de la vendange.

Par ailleurs, il est judicieux de réaliser quelques observations à l'approche de la vendange. Pour cela, des grappes, botrytisées ou non, sont ouvertes afin de percevoir l'arôme terreux, caractéristique de la géosmine, et d'observer la présence de foyers de pourriture grise avec Penicillium sp., parfois difficilement reconnaissable au coeur de la grappe. Il faut être vigilant si d'importantes précipitations ont lieu, comme en 2002, avant la récolte. La détection de grappes terreuses implique un tri sévère à la vendange. De plus, il faut éviter de mélanger en cuve les récoltes de parcelles touchées avec celles apparemment indemnes.
Nous tentons actuellement de mieux comprendre la genèse de ce phénomène au vignoble. Pour cela, la dynamique spatio-temporelle des micro-organismes impliqués et leurs métabolismes biochimiques sont étudiés. Par ailleurs, différentes stratégies de protection sont en cours d'évaluation. La démarche analytique initiée pour la géosmine sera étendue aux autres défauts terreux retrouvés dans les vins.

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