Les consommateurs et les professionnels du vin ne parlent pas le même langage. Voilà un sérieux obstacle au commerce. Pour le surmonter, il faut expliquer aux amateurs comment sortir des dogmes et étancher leur soif de conseils pratiques.
Depuis que les marchés viticoles s'essoufflent, la filière regorge d'enquêtes sur les consommateurs. Faute d'enrayer le déclin de la consommation, les professionnels cherchent à comprendre pourquoi !
L'Agence française d'information sur le vin (Afivin) n'est pas en reste. Elle a commandé une étude à Ipsos-Insight Marketing pour mieux cerner les attentes de nos concitoyens face à la dive bouteille. Réalisée du 6 au 27 juillet 2002 auprès de 600 personnes, l'enquête montre que 60 % d'entre elles ne comprennent pas le discours des professionnels du métier que sont les oenologues ou les sommeliers !
Ce premier constat a de quoi inquiéter, car l'incompréhension n'est pas faite pour faciliter les rapports commerciaux... Pire ! A écouter les personnes interviewées, l'acte lui-même de consommation de vin semble coincé dans un carcan de règles à la fois sociales et quasi morales, sans parler des préoccupations relevant de la santé publique. Au final, il apparaît un sentiment de complexité qui tient le consommateur à distance. Le vin serait-il comme une trop jolie femme que l'on n'oserait pas aborder ?
Pour éviter cela, les commentateurs de l'enquête suggèrent de privilégier certains contextes de consommation : encourager le non-expert à s'exprimer, à développer ses propres modes d'approche et d'appréciation du vin. La dégustation avec des amis experts, mais ' ouverts ', dans les bars à vin sont cités comme des situations propices. Un conseil : lors d'une dégustation avec un client, mieux vaut privilégier le partage et l'échange de sensations gustatives plutôt que tomber dans le cours d'oenologie !
Un autre conseil : inciter ses clients à consommer le vin en apéritif. Selon les auteurs de l'enquête, il s'agit là d'une voie d'émancipation. Ils ont découvert que cette habitude est celle d'un public affranchi des conventions qui enserrent le vin. Ce pourrait donc être une bonne manière de décomplexer d'autres amateurs que de leur suggérer de préférer le vin aux alcools forts ou à la bière, lors de ce temps simple et convivial qu'est l'apéritif. Le vin s'en trouverait désacralisé... mais consommé.
Les affranchis qui, malheureusement, ne constituent qu'une minorité des interviewés, s'autorisent également de boire alors qu'ils sont seuls. ' Ils s'offrent ainsi un moment à eux, privilégié, plus ou moins ritualisé ', expliquent les enquêteurs. Ces adeptes du vin bu en ' pause plaisir ' ont évacué l'idée reçue selon laquelle boire seul est dégradant. Cependant, il est délicat de conseiller à qui que ce soit d'en faire autant. Comme le rappellent les enquêteurs, ' à la base des images dominantes relatives au vin, il y a une idée de limitation, de contrôle '. Dans l'esprit du public, ' l'alcool est dangereux, on ne doit en boire qu'avec modération ou pour de bonnes raisons, lors d'un repas avec des amis, d'un événement... '
En détaillant les profils des consommateurs, on constate que certains ont une consommation décomplexée, comme les ' bons vivants ' (26 % des 18-50 ans). Ce sont plutôt des hommes, pour lesquels la gastronomie compte. Pour eux, la dimension ' plaisir ' est plus importante que pour le reste de l'échantillon. Si, en mo- yenne, 12 % des personnes estiment qu'il y a ' trop de rituels autour du vin ', que ' c'est trop compliqué ', seuls 5 % des ' bons vivants ' sont d'accord avec ces deux affirmations.
Dans ce groupe, on constate une augmentation de la consommation de vin et une diversification des occasions d'en boire. Plus d'un ' bon vivant ' sur deux ouvre une bonne bouteille à l'apéritif. Ce sont eux qui ont le plus d'attentes d'information. Ils aimeraient savoir comment gérer leur cave, apprendre à s'exprimer sur la dégustation, savoir reconnaître les cépages, les bonnes années... Aux producteurs de leur apporter ces bons conseils !
Le deuxième groupe décomplexé est constitué par les ' précautionneux ' (30 % des 18-50 ans). Ce sont plutôt des femmes, soucieuses d'équilibrer leur alimentation. ' Ces consommateurs intègrent le vin à leur quotidien, sans complexe, que ce soit au dehors ou sur leur lieu de travail ', expliquent les enquêteurs. Seuls 4 % de ce groupe déclarent : ' Quand je suis à l'extérieur et que je bois du vin, j'ai l'impression que les autres me regardent . ' A titre de comparaison, 8 % des personnes, toutes catégories confondues, ont cette impression.
' Les 'précautionneux' sont assez ouverts à une consommation hors repas, en particulier à l'apéritif, mais attendent qu'on leur propose , notent les enquêteurs. Leurs attentes, comme le reste des Français, sont avant tout pragmatiques : apprendre à accorder le vin aux plats, à reconnaître une bonne bouteille à petit prix... ' Contrairement aux ' bons vivants ', ils sont moins intéressés par le côté oenologique. Bref, ce groupe préfère un savoir pratique que trop intellectualisé.
A l'inverse des ' bons vivants ' et des ' précautionneux ', le reste des personnes interviewées (44 % de l'échantillon) fait preuve d'une attitude plus ou moins complexée. Par exemple, les ' indifférents fonctionnels ' (15 % des 18-50 ans), marqués par une alimentation déstructurée, voient le vin comme ' un produit fonctionnel avec une légère connotation négative '. Ils estiment, à 59 %, que ' pour faire la différence entre les vins, il faut s'y connaître '. Mais, comme le notent les commentateurs de l'enquête, ' les 'indifférents' n'ont pas encore découvert le vin '. 37 % d'entre eux affirment : ' Je n'ai pas cherché à apprendre, je bois le vin que l'on me donne ', contre 19 % en moyenne. Face à l'offre, ce groupe préfère les vins sucrés, fruités, légers, et qui ne restent pas trop longtemps en bouche. ' C'est le vin blanc qu'ils connaissent le mieux, qui échappe donc le plus aux a priori ', notent les commentateurs.
Les ' craintifs ' (23 % des 18-50 ans) sont proches des ' précautionneux ', s'agissant des comportements alimentaires. Ils sont soucieux d'équilibrer leurs repas et sont même acheteurs de produits biologiques... En revanche, ils sont marqués par des freins sociaux (peur de prendre du vin au restaurant d'entreprise, de boire seul face au regard des autres...) et de santé publique. Les ' craintifs ' ont encore d'autres motifs de s'abstenir : ' Le vin est un produit dangereux, car il fait grossir et c'est de l'alcool. '
Enfin, les non-consommateurs (6 % des 18-50 ans) sont ceux qui ont le rapport le plus inhibé. Un quart d'entre eux déclare que ' le vin, c'est trop compliqué ' et pour 87 %, ' c'est difficile à apprécier lorsque l'on ne s'y connaît pas '. Pourtant, ce groupe ne cherche pas pour autant d'information sur le sujet. Alors que 20 % des Français estiment que ' c'est valorisant de s'y connaître en vin ', seuls 8 % des non-consommateurs partagent cette opinion. En revanche, ils sont 18 % à penser que ' le vin, c'est ringard ', contre 5 % en moyenne. Il faut de tout pour faire un monde...