Mettre de côté du vin lorsque la nature est généreuse et puiser dans cette provision lors des mauvaises années. C'est le principe de la réserve qualitative. Exemples en Champagne et en vallée du Rhône.
Dans une économie libérale, l'idéal est d'obtenir l'équilibre entre l'offre et la demande. Or, sur le marché du vin, ce point de concordance est délicat à atteindre car la production dépend des caprices de Dame Nature.
Heureusement, il existe des millésimes exceptionnels où qualité et quantité sont au rendez-vous. Ces années-là, les réserves trouvent toute leur utilité. L'idée est de mettre de côté quelques bons vins et de les ressortir quand on manque de volumes ou quand la vendange est mauvaise. On évite alors les surchauffes de prix ou les mises en marché de vins médiocres.
La Champagne a évité ces deux écueils lors du passage à l'an 2000. Rappelez-vous... L'approche du nouvel an du siècle avait fait craindre un manque de volumes. Une pénurie aurait provoqué une dangereuse envolée des prix. Grâce à la réserve, ces dérapages ont été évités. Gros plan sur ce système perfectionné.
Les volumes mis en réserve sont fixés par le CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). Par exemple, lors de la vendange 1998 (qualifiée de miraculeuse par les Champenois, car pléthorique et de bonne qualité), le CIVC a décidé d'engranger toutes les quantités obtenues entre le rendement de base, égal à 10 400 kg de raisins à l'hectare, et le rendement maximum autorisé par l'Inao, fixé à 13 000 kg/ha.
Les volumes mis en réserve restent la propriété des récoltants concernés et ne peuvent pas donner lieu à des transactions. Ces quantités peuvent être débloquées plus tard pour servir à la composition de cuvées et à l'amélioration des assemblages, avant les tirages en bouteilles. Elles permettent aussi de faire face à des récoltes insuffisantes en volume ou en qualité.
En 1999, le CIVC a décidé la sortie des quantités bloquées lors des récoltes 1992, 1993 et 1994, soit l'équivalent de 72 millions de bouteilles. Ces volumes sont venus s'ajouter au potentiel de 275 millions de cols, provenant de la partie de la récolte de 1998 obtenue dans la limite du rendement de 10 400 kg/ha. L'assurance de détenir un volume aussi élevé pour l'après-2000 a permis aux Champenois, en 1999, de puiser dans leurs stocks sans risque.
Reste que la réserve champenoise n'a pas pu éviter le mini-crash de l'après-2000 : expéditions en recul, retour des champagnes à 10 euros... Pour Louis-Georges Solers, de l'Inra d'Ivry (Val-de-Marne), ' ces problèmes sont dûs aux surstockages des distributeurs. Nous avions bien prévu que ces derniers allaient augmenter leurs commandes en vue du changement de millénaire. En revanche, personne n'avait deviné qu'en procédant ainsi, ces intermédiaires se trompaient. Car, en réalité, le consommateur final n'a pas suivi '. Selon ce chercheur, les réserves se justifient pour réguler des marchés de gros volumes. Elles sont plus utiles pour des génériques que pour des crus. Les vins de Champagne représentent l'exemple idéal, car ils autorisent les assemblages de millésimes.
En vallée du Rhône, le système de réserve est effectif pour les AOC Côtes du Rhône etdu Ventoux. Pour la première, il fonctionne depuis 1995. Là aussi, au fil de l'expérience, l'interprofession a amélioré son fonctionnement. Ainsi, depuis 1999, le report de blocage individuel (RBI) est entré en vigueur.
' C'est la possibilité pour un producteur de faire glisser un millésime en réserve , explique Jérôme Villaret, d'Inter-Rhône. Le vigneron peut reporter sur le dernier millésime l'ensemble des volumes mis en réserve, à condition de bloquer le même volume sur la dernière récolte. Il lui suffit d'en faire la demande auprès de l'interprofession. '
Dans ce vignoble, la libération des vins peut être ordonnée de trois façons. Si les conditions de marché sont propices, l'interprofession décide du déblocage. Les producteurs peuvent alors commercialiser leurs volumes mis en réserve. Par ailleurs, il existe deux possibilités de libération anticipée individuelle. En premier lieu, en cas de baisse sensible de production, un vigneron peut demander à commercialiser tout ou partie des volumes mis en réserve les années précédentes pour atteindre le niveau de commercialisation d'une récolte normale. En second lieu, celui qui subit le refus d'un lot lors de l'agrément d'AOC peut libérer le volume équivalent en réserve. De quoi jouer le rôle d'une assurance contre le risque de recalage... Attention : même s'il est possible de débloquer de manière individuelle sa réserve, il faut toujours attendre une décision de blocage collectif pour pouvoir la reconstituer. Ce point constitue une limite au système. Plusieurs régions potassent sur le problème pour trouver une solution souhaitable du point de vue économique, mais juridiquement correcte.