Les rouges concentrés et structurés doivent aussi avoir du fruit et de la rondeur pour séduire les consommateurs. Ceux-ci n'apprécient plus du tout les tanins rustiques. Des producteurs tiennent compte de leurs exigences.
Les cuvées concentrées et structurées épatent les dégustateurs professionnels et les journalistes spécialisés. Pour se construire une notoriété, c'est un atout. Mais gare aux excès ! ' Pour séduire durablement des consommateurs, les vins doivent rester équilibrés ', estime Guillaume de Tastes, du château Beaulieu (Gironde). Ce directeur des achats d'un négociant bordelais a bien réfléchi à la question. Dès qu'il a acquis sa propriété, il a visé de petits rendements pour obtenir une bonne maturation et éviter les tanins trop végétaux. ' La concentration se fait sur le cep. Je cherche à élaborer des vins mûrs et fruités. Au chai, je ne pousse pas l'extraction trop loin. Pour rester dans la typicité de l'appellation Bordeaux supérieur, je tiens à garder de la fraîcheur. '
Pour son premier millésime, le 2000, il a obtenu une bonne note de Robert Parker, le célèbre dégustateur américain qui apprécie les vins puissants. Cela l'a aidé à se lancer. ' Cette année, j'ai vendu en primeur la production de mes 23 ha à 5 euros/col. Au détail, ces vins se retrouvent à 10 euros/col. Cela reste accessible. Il y a un vrai segment de marché à développer, qui correspond bien à l'évolution des goûts et des habitudes alimentaires ', estime Guillaume de Tastes. Cependant, il va relever son objectif de rendement de 30 à 35 hl/ha. Il veut diminuer ses coûts, trop élevés.
A Madiran, les vignerons s'interrogent sur le profil de leurs vins. ' Les consommateurs veulent retrouver la concentration à laquelle ils sont habitués sur notre coeur de gamme, sinon ils sont déçus. Mais dans le même temps, ils acceptent de moins en moins les tanins rustiques. Nous cherchons à les affiner et à les enrober avec plus de gras, pour rester en phase avec leurs attentes. Sinon, ils iront chercher ailleurs ', affirme André Beheïty, président de l'interprofession des vins de Madiran. Pour améliorer l'équilibre de ces vins, les vinificateurs de la région cherchent à extraire avant le début de la fermentation alcoolique. En cours de fermentation, ils privilégient les délestages aux remontages, et le microbullage se développe. Depuis deux ou trois ans, le groupe Plaimont a réajusté le profil de ses madirans par de telles mesures : ' Nous devons écouter les consommateurs et anticiper pour faire évoluer nos pratiques, sans attendre d'avoir des difficultés de vente ' , justifie Philippe Cazaux, directeur technique du groupe.
' Au caveau, les consommateurs s'expriment rarement quand ils n'apprécient pas une cuvée, mais je les sens de plus en plus réticents vis-à-vis des vins un peu durs. Ils se tournent vers les vins de pays, plus faciles à boire ' , confirme François Laplace, du château d'Aydie.
Pour que les vins d'appellation soient, eux aussi, plus faciles à boire, le travail au chai ne saurait suffire. Il doit également être mené à la vigne. ' Lorsque les pépins du tannat sont bien mûrs, les tanins ont un caractère moins végétal. J'ai des parcelles à 2 500 pieds/ha et d'autres à 3 800 pieds. Ces dernières mûrissent plus facilement ', souligne François Laplace. Pour en tenir compte, les prochaines plantations se feront au minimum à 4 000 pieds/ha dans cette appellation.
A Embrès et Castelmaure, dans les Corbières, c'est la cuvée n°3, très concentrée, qui a fait connaître la cave coopérative. Elaborée dans le cadre d'une démarche de progrès menée par le syndicat de cru, avec deux négociants éleveurs, Michel Tardieu et Dominique Laurent, elle a surpris et séduit.
' A 12°, le grenache n'est pas mûr. Nous avons diminué les rendements aux alentours de 30 hl/ha et patienté jusqu'à 14 ou 15°, pour atteindre la pleine maturité. Nous obtenons des raisins concentrés mais, ensuite nous pratiquons des vinifications courtes, précédées de macérations préfermentaires à froid. Nous ne poussons pas l'extraction, pour ne pas avoir de tanins qui demandent trop d'élevage ', affirme Bernard Puyeo, directeur de la cave.
En quatre millésimes, cette cuvée a trouvé des consommateurs. En 2002, elle s'est vendue à 25 000 cols, à un prix de 16 euros/col au caveau. ' Elle a séduit les cavistes et nous a permis de pénétrer sur ce marché. Mais les clients pour ce type de vin ne sont pas nombreux. Ils gardent les bouteilles pour de grandes occasions, et la rotation en rayon est faible. Nous avons développé les volumes chez les cavistes avec d'autres vins. '
La coopérative commercialise 1,2 à 1,4 million de cols par an. 95 % de ces vins sont bus dans l'année. Elle propose donc aussi des vins de soif, fruités et ronds comme la Buvette, un vin de table vendu 3 euros/col. Des parcelles classées en appellation ont été utilisées pour le créer. Dès la première année, les ventes ont atteint 50 000 cols. En appellation Corbières, la cuvée Envie de raisin, suivie de l'Enfer et du Paradis ont été bien accueillies. ' Nous avons une gamme permanente et une gamme mobile pour explorer chaque année de nouvelles pistes, en fonction de ce que nous offre le millésime ', souligne Patrick de Marien, président de la coopérative.
La concentration, c'est parfois la nature qui l'impose. ' Notre terroir est très aride. Depuis trois ans, je ne décolle pas des 25 hl/ha. J'obtiens des petits grains, qui donnent des vins puissants et riches en alcool ', explique Thierry Navarre. Ce producteur en appellation Saint-Chinian, à Roquebrun (Hérault), ne croit pas aux vins tanniques et massifs.
Pour élaborer des cuvées souples et tendres, comme il les aime, Thierry Navarre a pris des précautions. Il a conservé du cinsault qui apporte de la fraîcheur. Il a aussi appris à composer avec la nature. ' J'égrappe quand c'est nécessaire. Je joue sur la durée des macérations, pour obtenir du gras qui enrobe les tanins, et sur les assemblages. Il n'y a pas de règles, c'est un équilibre à réinventer à chaque fois. Mes vins sont concentrés. Certaines années, ils ont un profil tannique marqué, mais ils gardent de la fraîcheur. Ils restent agréables à boire, et mes clients me suivent. C'est l'essentiel ', estime-t-il.
Il vend bien ses cuvées haut de gamme, mais il ne compte pas que sur elles pour se démarquer. ' Il y a d'autres clés d'accès au marché. Je suis rentré dans les CHR parisiens avec un vin de 11°5 élaboré avec de l'oeillade, un cousin du cinsault. Et je vais peut-être finir par acheter quelques parcelles d'aramon pour élaborer un vin de table à 10°, frais et naturel. '