De nombreuses archives témoignent de l'engouement des riches et des puissants pour les crus de Bourgogne. Vers 1750, il fallait réserver le montrachet avant les vendanges pour en avoir.
Séjournant à la Cour de Madrid à la fin de 1721, le duc de Saint-Simon note que le roi Philippe V, petit-fils de Louis XIV, ' boit peu et du vin de Bourgogne vieux ', tandis que la reine boit du champagne. Quelques années plus tôt, en 1714, relatant la mort de madame de Pontchartrain, femme du ministre de la Justice, il indique que sa cave est bien garnie. Elle comprend une ' feuillette (pièce de 114 l) de pommard, six feuillettes de chambertin, sept de chassagne, cinq de vin de nuits et cent bouteilles de bourgogne '. Nous sommes alors en pleine ascension des bourgognes.
L'examen des possessions du chapitre - l'assemblée des religieux - de la cathédrale de Saint Mammès de Langres en témoigne. Il possédait, entre autres, 12 journaux (environ 5 ares) de vigne en chambertin. Le bail de 1651 évalue à 30 livres la queue de vin de 402 l du clos de Bèze. Ce même vin est estimé à 700-800 livres en 1761, alors que le coût de la vie a à peine doublé en un siècle. Vers 1750, tous les grands bourgognes sont connus. ' Les vins de la Basse-Bourgogne sont peu inférieurs aux vins de la Haute. ' Mais quand les vins de Basse-Bourgogne sont excellents, surtout lors des années sèches, les marchands n'hésitent pas à les mettre dans des queues de la Haute-Bourgogne pour les commercialiser ' comme s'ils en venaient '. Parmi eux, on distingue le vin de Chablis, ' un vin blanc, fin, léger, et d'une sève très délicate. On le compare au vin de Meursault '. Les vins, qu'on appellerait aujourd'hui des premiers crus, se vendent de 200 à 300 livres le muid de 268 l. Pour les vins plus ordinaires, les prix varient entre 60 et 200 livres.
L'auteur du rapport apprécie également les vins blancs d'Auxerre et de Tonnerre. Il note que les rouges de Tonnerre ' deviennent meilleurs de jour en jour '. On sait quelle importance nos ancêtres du XVIII e siècle accordaient aux rouges qui triomphent alors des blancs du Moyen Age et du XVI e siècle.
Mais l'excellence se trouve dans la grande Côte. Déjà le clos-de-vougeot et le chambertin, de grande réputation, ' se vendent extrêmement cher, et souvent moitié plus que les autres ', comme les vins de Pommard, de Beaune, de Savigny, d'Aloxe, de Volnay.
Au-dessus, il y a ' le montrachet et la romanée qui sont deux crus extrêmement loués. Ces deux sortes de vins sont, pour cette raison, les premiers et les plus recherchés de toute la Bourgogne. Ils sont communément plus chers que les vins du clos de Vougeot et de Chambertin. Lorsque ceux-ci valent 800 livres, les autres se vendent 1 200 livres. On est encore obligé de les retenir avant les vendanges '. On classe richebourg et la tâche presque au même niveau que la romanée. Dans le même temps, les vins ' de Beaune, de Nuits, de Chassagne sont, les bonnes années, les plus propres pour l'Angleterre, la Hollande et les pays du Nord '.
Une particularité dans cette appréciation des années 1750 : le clos de Vougeot ' est connu pour l'excellence de ses vins rouges et blancs ', là où il n'y a plus que des rouges aujourd'hui. C'est dire avec quelle modestie il faut juger de la prédestination des terroirs.