Depuis vingt-cinq ans, Bernard Launois soigne l'accueil de ses clients et met en valeur son patrimoine. Il s'est lancé dans des recherches sur ses terroirs pour les mettre, eux aussi, à l'honneur.
'Sais-tu où je suis ? A déjeuner dans un château, en Champagne. J'ai visité le musée. C'est formidable. ' Portable raccroché, la dame rejoint les convives attablés dans la grande salle du Clos des cépages. Bernard Launois savoure ces mots saisis au vol, qui confirment la justesse de son intuition. Depuis plus de vingt-cinq ans, elle conduit ce vigneron de Mesnil-sur-Oger à soigner l'accueil de ses clients.
' En arpentant les salons et les foires au début de ma carrière, j'ai observé les consommateurs. La dégustation leur procure une émotion immédiate. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils vous sont fidèles. ' Pour les ' accrocher ', il va construire un caveau de dégustation et les faire venir chez lui.
Avec l'envie de faire découvrir la face cachée du vin, Bernard Launois s'aventure dans le tourisme. Il ouvre un musée en 1978. La brocante est une passion : ici, un alambic des tranchées constitué de deux corps d'obus ; là, une collection de pressoirs des XVII e, XVIIIe et XIXe siècles. A travers l'objet se raconte tout un pan d'histoire.
Bernard Launois est intarissable. Les conversations se prolongent autour d'une coupe. L'idée de restauration s'impose. Du simple en-cas au vrai buffet, en quelques années, Dany, son épouse, sert jusqu'à 5 000 repas par an dans la salle à manger contiguë au musée. En 1994, le couple Launois passe un cran au-dessus : il acquiert et restaure le château de Villers-aux-Bois, à 7 km de Mesnil-sur-Oger. C'est là qu'ils ouvrent la salle du Clos des cépages pour servir des repas gastronomiques. ' L'accueil, le respect du client, un bon rapport qualité/prix. ' Ces priorités valent pour tout le monde. Le plaisir de recevoir et le sens du relationnel font recette. Le champagne Launois représente 50 % de ses ventes aux particuliers.
Peu à peu se profile un souci de transparence. Jusqu'à présent, Bernard Launois n'a guère communiqué sur sa façon de produire le raisin. Pourtant, il a anticipé les préoccupations environnementales. Son partenariat avec Viticoncept, société de conseil en viticulture, basée à Reims, date de 1988.
' Au-delà des économies possibles, d'une réflexion globale sur le vignoble et son environnement, c'est l'idée d'une prestation à long terme qui m'a intéressé . ' Il a pris le risque de passer d'une démarche d'assurance à une autre, où les traitements ne sont décidés qu'en cas de dépassement des seuils de risque. En 2000, il adhère au cahier des charges de la production intégrée Ampelos, plus exigeant que celui de la viticulture raisonnée mis en place en Champagne en 2001. ' On se donne les moyens de prouver ce que l'on fait par un contrôle annuel du bureau Véritas, organisme certificateur ', note Thomas Carsin, ingénieur conseil de Viticoncept. Avec Franck Rondelle, le gendre de Bernard, chargé du vignoble, il conçoit un programme minimisant les interventions. Il suit trente des quarante parcelles du domaine. Analyses de sols et prélèvements de pétioles permettent d'affiner la fertilisation. Coût du service : un peu plus de 10 000 euros/an. ' J'apprécie un regard extérieur ', déclare Bernard Launois. Ses réflexions sur l'avenir le poussent à ouvrir d'autres voies. Il sent que l'authenticité d'un champagne de vigneron reposera sur la valorisation des terroirs.
' Une approche banale pour un Bourguignon, mais peu présente dans notre appellation ', relève Bernard Launois. Son objectif : aboutir à une cuvée par unité de terroirs, voire par parcelle.
' Nous entamons une prospection sur le terrain , explique Thomas Carsin. Nous adaptons la méthode mise au point en Anjou par René Morlat, chercheur à l'Inra. Microclimat, topographie, sol et sous-sol permettent de définir deux indices de différenciation : vigueur et précocité. ' Le chardonnay étant le seul cépage de la Côte des Blancs, l'identification des terroirs s'en trouve facilitée.
Autre tournant : ' Depuis deux ans, nous n'arrachons plus de vigne. Fini le renouvellement au 1/30 e avec des clones à chaque fois différents. Dans les vieilles vignes, nous remplaçons les manquants par de la sélection massale. Ainsi, nous conservons aux parcelles leur caractère. Le regreffage des manquants permet de récolter des parcelles de plus de cinquante ans, car le remplacement ne dépasse pas 2 %. '
Bernard Launois connaît le risque : à s'écarter de la norme de l'assemblage qui prévaut en Champagne, il peut se voir opposer un refus d'agrément pour un vin atypique. Pour lui, le jeu en vaut la chandelle. ' Seul un récoltant manipulant peut se prévaloir d'un terroir particulier. ' A la cave, pilotée par Benoît Marguet, son autre gendre, tout est prêt pour cette segmentation. L'an prochain, ils investiront 1 Meuros pour la moderniser : des petites cuves en Inox thermo-régulées vont remplacer celles en acier émaillé. Le nombre de cuvées devrait passer de six à une dizaine.
Bernard Launois entend ainsi passer le témoin de façon harmonieuse. Il a préparé le terrain en créant, en 1988, une deuxième société qui couvre l'activité touristique et exploite 10 ha, dont la récolte est vendue au négoce. En 2002, il a créé une troisième société, de négoce celle-là. Aux jeunes de se faire un prénom. A 57 ans, Bernard garde toute sa flamme, et le désir de parler de ses vignes et de son vin.
L'EXPLOITATION EN DATES
1971 Reprise de l'exploitation familiale
1978 Création du musée de la vigne et du vin
1988 Achat d'une station météorologique
1994 Acquisition d'un château
1998 Arrivée de ses enfants
2000 Adhésion à Ampelos
2003 Valorisation des terroirs