Tous les indicateurs économiques de la Champagne sont au beau fixe. Cette appellation unique possède plusieurs atouts : des liens étroits entre la viticulture et le négoce, des marques fortes et une renommée internationale.
'Nous avons l'impression d'être une bulle à côté de la réalité ', déclare d'un air amusé Philippe Feneuil, président du Syndicat général des vignerons de la Champagne. Effectivement, malgré un contexte économique morose, la Cham- pagne tire son épingle du jeu. C'est ' le champagne paradoxe ', déclare Daniel Lorson, directeur de la communication au CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne).
Plusieurs raisons expliquent ce succès. La première, selon Philippe Feneuil, est que ' nos parents et nos grands-parents ont su mettre en place une organisation économique exemplaire '. Celle-ci passe par de bonnes relations entre les négociants et les viticulteurs, et une interprofession (CIVC) qui chapote le tout. Témoin de cette bonne entente entre les grandes maisons et les vignerons, le CIVC est coprésidé par Philippe Feneuil et Yves Bénard, président de l'UMC (Union des maisons de Champagne).
Les grandes décisions sont prises d'un commun accord entre les deux familles. Et c'est la seule région d'AOC où c'est le cas. L'organisation du CIVC est la suivante : une commission consultative, comprenant douze membres (six représentants des négociants et six représentants des vignerons), se réunit quatre fois par an pour décider, entre autres, du budget du CIVC, de la communication, de la défense de l'appellation, de l'organisation du marché des approvisionnements.
A côté, se trouve une commission permanente, constituée des deux coprésidents qui se réunissent tous les mois et décident, avec l'avis du directeur du CIVC, de tous les sujets à traiter (budget...). En amont, la commission technique travaille sur des sujets comme la viticulture raisonnée, les rendements ou les fermentations. En aval, la commission communication appellation s'occupe de défendre l'AOC et de la faire reconnaître. De plus, le CIVC dispose d'un observatoire économique, qui brasse des chiffres et fournit des tableaux de bord. ' Ces données permettent aux professionnels de prendre les décisions les plus sages et les plus averties ', dit Daniel Lorson.
' C'est une nécessité économique de s'entendre entre vignerons et grandes maisons, expose Philippe Feneuil. Ces dernières vendent les deux tiers des champagnes. En période de vendanges, 50 % de la récolte changent de mains. ' ' C'est un partenariat d'un demi-siècle qui joue son rôle, poursuit Yves Bénard. Et comme toutes les maisons de Champagne sont en Champagne, que c'est un petit vignoble, tout le monde se rencontre. '
Mais quand on parle organisation, la région bénéficie d'un outil primordial : la réserve qualitative. Et elle a fait ses preuves. ' C'est une réserve économique en cas d'aléas climatiques, une assurance. Le consommateur s'y retrouve car, sans elle, il y aurait flambée des prix et chute du marché. Elle permet d'éviter les fluctuations des cours. ' Le CIVC fixe les volumes à mettre en réserve et décide de la sortie des quantités bloquées.
Officiellement, le prix des raisins est simplement constaté sur la base de différents accords entre les vignerons et les acheteurs. En fait, chaque année, en avril-mai, une réunion se tient au CIVC pendant laquelle vignerons et négociants discutent d'un prix ' constaté ', généralement respecté, mais qui ne comprend pas les primes éventuellement accordées par les acheteurs.
En plus de son organisation exemplaire, la Champagne possède un autre atout. C'est une appellation unique, avec sa spécificité : la bulle. ' Contrairement aux autres régions qui ont plusieurs appellations à défendre, nous, nous n'en avons qu'une. De plus, nous avons des marques fortes qui ont une pénétration importante à l'export et des réseaux de distribution puissants. Une bouteille de Champagne, c'est comme une fusée à deux étages : une appellation unique et des marques fortes ', argumente Yves Bénard.
Le marché du champagne est différent de celui du vin. ' Pour le consommateur, c'est un produit de fête, de célébration, de luxe ', poursuit Yves Bénard. ' Le monde aime l'effervescence et nous sommes tirés par cette mode. Or, le champagne ne représente que 12 à 13 % des mousseux dans le monde. Il y a encore des parts de marché à prendre, mais il faut rester sur un vin de qualité, ne pas gaspiller notre héritage ', ajoute Philippe Feneuil.
Le danger : l'usurpation du mot ' Champagne '. Faire reconnaître l'AOC et la défendre est un vaste chantier. C'est le travail de la commission communication du CIVC et de l'Inao. ' Nous devons faire reconnaître qu'il n'y a du champagne qu'en Champagne. Nous avons obtenu une victoire avec l'accord entre l'Union et le Canada. Un gros dossier est en cours avec les Etats-Unis. Le champagne ne doit pas être assimilé à tout vin à bulle. Pour le défendre, nous avons des alliés, comme Cognac, Chablis, Porto... avec lesquels nous travaillons ', explique Philippe Feneuil. Bref, une défense de l'appellation auprès d'autres producteurs, mais aussi auprès d'autres produits comme le parfum ou le tabac.