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Des soupçons pèsent sur les colles protéiques

La vigne - n°149 - décembre 2003 - page 0

Les vins collés à l'oeuf frais, à l'ovalbumine, à la colle de poisson, à la caséine ou au gluten peuvent-ils provoquer des réactions d'allergie ? La filière vinicole en doute fort, mais elle se mobilise pour le savoir. Des chercheurs viennent de mettre au point une première série de tests.

Le professeur Daniel Tomé se veut rassurant : 'On n'a jamais vu personne subir un choc allergique pour avoir bu du vin . ' Il dirige l'unité de recherche en nutrition humaine, de l'Institut national agronomique (Ina) de Paris-Grignon. Malgré cela, le vin est concerné par une nouvelle directive (n° 2003/89/CE), parue le 25 novembre au Journal officiel de l'Union européenne. Ce texte rend obligatoire le signalement des produits allergènes dont il pourrait subsister, ne serait-ce que d'infimes traces. Les autorités européennes en ont dressé la liste. Elle comprend notamment : ' Les oeufs et les produits à base d'oeufs, les poissons et les produits à base de poissons, le lait et les produits laitiers et les produits à base de céréales contenant du gluten. ' Plusieurs colles sont donc concernées : blanc d'oeuf frais, ovalbumine, colle de poisson, caséine et gluten (produit testé mais pas encore autorisé).
A l'annonce de la rédaction de la directive européenne, en mai 2002, l'Union des oenologues de France a initié un groupe de travail, écrit au ministre de l'Agriculture et commencé à mobiliser la filière. En effet, les oenologues estiment que les colles protéiques n'ont pas à être listées comme ingrédients du vin, car elles sont seulement des auxiliaires d'élaboration, éliminés par floculation, puis sédimentation et filtration.

Ils pensent aussi que les éventuels résidus se combinent aux tanins, perdant ainsi leur pouvoir allergisant. Enfin, ils sont convaincus que la décision européenne a de quoi effrayer des consommateurs. La mention de substances allergènes sur l'étiquette d'un vin pourrait évoquer un risque alimentaire et surtout l'image d'un produit trafiqué. L'UOEF a sollicité l'Onivins pour mettre en route une étude visant à vérifier s'il reste ou non des substances allergènes dans le vin. Enfin, avec l'Union française des laboratoires de l'industrie oenologique (Uflio), les oenologues ont écrit aux députés européens. Ils ont obtenu d'eux un amendement de compromis.
Dans le cas du vin, l'indication des colles allergènes sera rendue obligatoire, uniquement si l'on est sûr qu'il en reste après soutirage et filtration. Les députés européens ont demandé que la filière viticole bénéficie d'un délai de grâce de quatre ans, à condition qu'elle entame, avant la fin de l'année, des études sur les risques allergiques liés aux colles protéiques. C'est chose faite. La filière s'est mobilisée avec l'espoir de prouver l'absence d'allergènes dans les vins et de développer des tests avant leur mise sur le marché. L'UOEF, l'ITV, l'Uflio, l'Anivit, le CNIV et l'Onivins cofinancent, à hauteur de 75 000 euros, une étude menée à l'Ina Paris-Grignon, par l'équipe du professeur Daniel Tomé. Il s'agit de mettre au point des méthodes suffisamment sensibles pour contrôler la présence ou l'absence d'allergènes dans les vins ayant été collés aux protéines d'oeufs (ovalbumine), de blé (gluten), de lait (caséine), de poissons (collagène).

La première étape consiste à créer un modèle scientifique. Il s'agit d'observer la réaction des souris à cinq produits : la colle, le vin témoin, puis le même vin collé, les lies de colle et un mélange de ces lies avec le vin. Pour l'instant, seules les colles ont été testées, mais l'équipe scientifique a bien avancé. Elle a réussi à sélectionner des lignées de souris très allergiques aux quatre protéines et mis au point une batterie de tests de déclenchement de réactions allergiques.
' Cette première étape est déjà franchie, alors qu'elle aurait pu être beaucoup plus longue ', se réjouit Caroline Lataste, responsable de la préparation des produits à l'ITV de Tours. C'est elle qui a eu la charge de sélectionner les premiers vins. Un cabernet-sauvignon, un chenin et un sauvignon de Touraine ont été collés suivant un protocole précis, établi avec l'aide de Marie-Madeleine Caillet, d'OEnoFrance, représentant aussi les OEnologues de France et l'Uflio. Ces vins ont été concentrés par lyophilisation, donnant une pâte sans alcool, que l'on peut injecter aux souris allergiques ou leur faire ingérer. On vérifie si ces pâtes déclenchent ou non une réaction allergique par des observations cliniques, mais aussi par des tests. En parallèle, on recherche la présence d'ovalbumine, de caséine, de gluten ou de collagène de poisson dans les vins à l'aide de techniques très pointues, en utilisant les anticorps produits par ces souris. ' On a démontré la validité des tests, qui sont sensibles, fiables et précis, indique Daniel Tomé. Lorsque des allergènes sont dans les vins, on est capable de les détecter. '

L'étape suivante consistera à contrôler des vins différents. On testera des vins de divers niveaux de filtration et plus ou moins charpentés. En effet, plus un vin est riche en polyphénols, plus il fixe les colles protéiques, ces substances réagissant avec les tanins. Les complexes ainsi formés devraient précipiter et disparaître au soutirage. Enfin, la dernière étape commencera dans un peu plus d'un an. Des tests pour des contrôles rapides et systématiques sur le terrain seront développés. ' En cas de doute, si l'on suspecte des résidus de colle, on pourrait même valider les tests sur un modèle humain in vitro ', précise Jean-Luc Berger, directeur technique de l'ITV. Ce programme, commencé au mois de juin 2003, devrait s'achever vers le milieu de l'année 2005.



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