Les spores d'eutypiose sont lourdes. Elles migrent peu. Au sein d'une parcelle, les taux d'attaque varient du simple au triple selon la proximité de vieilles vignes très touchées par cette maladie. La prophylaxie prend tout son sens.
Vignerons, vous qui mettez activement en oeuvre la prophylaxie pour lutter contre l'eutypiose, vos efforts ne sont pas vains ! Jusqu'à présent, beaucoup pensaient qu'elle était inutile, faute de mise en oeuvre collective. On supposait qu'il suffisait d'un tas de souches malades laissé à l'air libre, pour contaminer toutes les parcelles à des kilomètres à la ronde. Raisonnement logique, quand on lit, notamment dans Les Maladies cryptogamiques de la vigne (éditions Féret), que le vent assure la dissémination des spores d'eutypiose sur de longues distances, jusqu'à 60 km. Erreur ! Pascal Lecomte, de l'Inra de Bordeaux, l'avait clairement dit en 1999. ' Les spores d'Eutypa lata sont relativement lourdes. La plupart ne parcourent que 10 m environ. L'inoculum de proximité est le plus dangereux . '
Sur le terrain, cette information est mal passée. Sans doute se souvient-on des messages diffusés, il y a quelques années, montrant des spores très agressives volant au gré du vent. Il va falloir les oublier. Un essai du Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC), réalisé en collaboration avec le lycée agricole de Saintes (Charente-Maritime) et l'Inra de Bordeaux, amène de l'eau au moulin de Pascal Lecomte. Il a été mis en place au début des années 1990, afin de préciser le rôle des différents facteurs, tels que le mode de conduite, le porte-greffe et la fumure. Les résultats ont été présentés par Vincent Dumot du BNIC, le 11 septembre dernier, lors de la journée technique de la station viticole.
La parcelle étudiée a été plantée en 1991 avec de l'ugni blanc. Les premiers symptômes d'eutypiose sont apparus en 1997. Ils se sont fortement extériorisés en 2001. Dans certaines modalités, la proportion de ceps eutypiés dépasse 30 %.
Les expérimentateurs se sont aperçus qu'un facteur avait supplanté tous les autres : l'environnement de la parcelle étudiée. Indépendamment des modalités, ils ont observé un gradient d'expression des symptômes.
Entre le premier et le dernier rang de la parcelle, les taux d'attaque varient de 40 % à un peu moins de 5 %. Or, ces rangs ne sont séparés que d'une centaine de mètres. La raison ? ' La présence de vieilles parcelles très touchées par les maladies du bois à proximité du premier rang ', supposent les expérimentateurs. Etonnant, si on part du principe que les spores peuvent se déplacer sur des kilomètres. Si c'était effectivement le cas, l'extériorisation des symptômes aurait dû dépendre du mode de conduite, du porte-greffe ou de la fumure. Il faut donc admettre que les spores voyagent peu. A moins que d'autres facteurs, comme le sol, aient joué sur l'expression des symptômes. Mais cela semble peu probable. Les expérimentateurs retiennent donc l'explication la plus évidente : c'est l'environnement de la parcelle qui induit des taux d'attaque variant du simple au triple. Du coup, la prophylaxie prend tout son sens. Si la proximité de souches malades s'avère le facteur le plus important, il n'est pas le seul. L'influence du mode de conduite, du porte-greffe et de la fumure n'est pas négligeable. Les expérimentateurs ont montré que les ceps taillés en cordon bas et palissés étaient nettement plus touchés que ceux taillés en guyot double et attachés à plat.
Or, dans la plaquette nationale ' Les Maladies du bois en viticulture ', on lit que pour prévenir ou limiter leur extension, il faut ' éviter, si cela est possible, les tailles Guyot (sauf en Champagne ou en Bourgogne, où leur effet favorisant sur ces maladies n'est pas vérifié) '. Les expérimentateurs expliquent leurs résultats contraires par le nombre plus élevé de plaies de taille sur les cordons. Ces derniers étant conduits d'une façon particulière, avec de longs coursons, les résultats ne sont pas transposables à tous types de cordons bas palissés. Le porte-greffe influe également, les plants sur Rupestris du Lot étant les plus épargnés, ceux sur 41 B les plus atteints, Fercal et RSB1 se situant entre les deux.
Enfin, la fertilisation, probablement par l'augmentation de la vigueur, favorise aussi l'expression des symptômes. Mais quant à dire si cela a un effet sur la mortalité des ceps, l'essai est trop récent pour le confirmer.
Avec cet essai, les expérimentateurs ont pu quantifier l'importance relative des différents facteurs dans l'expression de l'eutypiose. Ils ont ainsi montré que le mode de conduite pouvait multiplier par 2 les taux d'attaque, le porte-greffe par 1,5 et la fumure par 1,3. ' En assainissant l'environnement des parcelles, en limitant la vigueur et les plaies de taille, on peut réduire les contaminations précoces d'eutypiose et améliorer la longévité de la vigne, ce qui réduit nettement les coûts de production en étalant l'amortissement du coût de plantation ', résume Vincent Dumot.