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De surprenantes acidités

La vigne - n°149 - décembre 2003 - page 0

De nombreux vignerons ont eu la surprise de voir l'acidité totale augmenter en cours de fermentation. En cause, l'échantillonnage imparfait des raisins, mais aussi des difficultés de dosage et une importante production d'acides par les levures.

Atypique jusqu'au bout, le millésime 2003 ne s'est pas seulement caractérisé par une acidité totale très basse : il a aussi été marqué par son augmentation en cours de fermentation.
Cette acidification a concerné de nombreux vins rouges. On y a certainement porté beaucoup d'attention cette année, du fait que le niveau initial était très bas et que l'acidité était un paramètre incontournable de pilotage des vendanges et des vinifications. Mais le phénomène a pris une ampleur souvent surprenante. Dans le Médoc, Antoine Médeville, oenologue chez OEnoconseil, signale des augmentations atteignant jusqu'à 1,5 g/l en cours de vinification.

Bien avant l'arrivée de la vendange dans les chais, les techniciens ont pu constater de fortes différences de niveau de maturité des baies au sein d'une souche, et même au sein d'une grappe. L'hétérogénéité normale ' a été accentuée par le stress hydrique, car il n'affecte que des sous-populations de baies au sein d'une grappe ', explique Charles Romieu, à l'Inra de Montpellier.
Il s'en est suivi des problèmes d'échantillonnage, liés à la difficulté d'égrenage de certaines baies : les prélèvements pour les contrôles de maturation privilégiaient les baies les plus faciles à décrocher, donc les plus mûres. Or, elles n'étaient pas représentatives de la moyenne de la vendange. De même, cette hétérogénéité des grappes montre la différence de composition entre le moût après encuvage et le vin : les baies les moins mûres, donc plus acides, n'ont libéré leur jus que tardivement. En outre, la pulpe ne se délitait pas toujours bien. Cela explique que sur les rouges, les acidités sont remontées en fin de cuvaison. C'est notamment le cas dans le Beaujolais, où le jus de fond de cuve en début de fermentation n'était pas représentatif de l'ensemble de la cuve. En Anjou, au laboratoire Berger, Alain Berger confirme que la maturation hétérogène est responsable d'une grande partie du phénomène d'acidification des vins rouges. Il s'agirait donc, pour une bonne part, d'apparence. L'acidité totale aurait été mal mesurée au départ.

Mais cette explication n'est pas suffisante, car la remontée s'est produite également sur les blancs, entre le début et la fin de la fermentation. On ne peut donc pas parler de relargage par les pellicules ou de problème d'homogénéité de l'échantillon.
Le Gers en a fait les frais. La prise d'acidité totale y a été flagrante sur les premières vendanges rentrées, alors que les viticulteurs acidifiaient pour la première fois. Les colombards ont pris jusqu'à 0,5 g/l d'acidité totale en cours de vinification. Les ugnis blancs, vendangés plus mûrs, ont été moins touchés. ' Il fallait être très prudent pour acidifier, ce qui était autorisé cette année. Certains vinificateurs, qui l'ont fait, se sont retrouvés avec des vins trop acides, notamment dans les premières cuves ', explique Sandrine Le Cam, oenologue conseil au Laboratoire départemental agricole et viticole d'Eauze (Gers). Elle indique, par ailleurs, que les chromatographies, pour le suivi de la malo, étaient difficiles à lire : ' Des taches de lactique apparaissaient, ce qui nous laissait croire que la malo avait commencé, alors que le malique ne diminuait pas . ' Cette situation peut être liée à la production d'acide lactique par les levures, ou à une ' libération ' d'acide malique en cours de vinification, ce qui expliquerait que les teneurs en malique ne diminuaient pas.
C'est apparemment le phénomène qui s'est produit à Chablis (Yonne). ' Sur moût, il y a eu une période, en début de vendange, où l'on n'arrivait pas à doser l'acide malique, même par un dosage enzymatique ', explique Jacques Lesimple au laboratoire du même nom. ' Il était peut-être sous une forme salifiée, ou lié à des sucres . ' Des viticulteurs, inquiets de ne pas avoir du tout d'acide malique sur moût, ont eu le plaisir d'en retrouver jusqu'à 1 g/l au terme de la fermentation. En fin de vendanges, après de petites pluies, les choses étaient revenues à la normale : la composition des vins était redevenue conforme à celle des moûts.

Les erreurs de mesure ou, simplement, leur degré de précision ont probablement interféré avec ces libérations d'acide malique, que ne relate aucun traité d'oenologie. ' Cette année, il fallait beaucoup se méfier de tous les dosages par infrarouge à transformée de Fourier, car les données sortaient de tous les calibrages ', rappelle Charles Romieu. Et Jacques Lesimple de poursuivre : ' Avec 0,2 à 0,3 g/l, on n'est pas très loin de la précision de la mesure . '
Mais il est un autre phénomène, bien connu celui-là, qui fut déterminant. En cours de fermentation, les levures produisent des acides organiques tels que l'acide acétique, succinique ou lactique. Généralement, les précipitations tartriques et la consommation de malique compensent cette acidification. Mais quand les moûts sont peu acides, il n'est pas rare que l'acidité totale augmente de 0,5 g/l, voire de 1 à 1,5 g/l. Alain Berger rappelle d'ailleurs que lorsque l'acidité totale des vins est très faible, elle augmente de façon notable avec toute montée de volatile, même sans danger. Il n'y a là aucun mystère, mais simplement un mécanisme analytique car, habituellement, les moûts sont tellement vifs qu'ils ne s'expriment pas.

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