Constituants de la paroi des levures, les mannoprotéines sont libérées pendant la fermentation et l'élevage. Elles jouent un rôle dans la stabilisation tartrique et protéique.
Les mannoprotéines entrent dans la composition de la paroi levurienne à hauteur de 35 % environ. Elles sont formées de chaînes de protéines (10 à 20 %), ramifiées par des chaînes de sucres, essentiellement du mannose. Elles diffèrent par leur taille, la longueur de leurs ramifications et leur agencement.
Les mannoprotéines présentes dans le vin ont deux origines : soit elles sont excrétées pendant la phase de croissance des levures, à raison de 100 mg/l en fin de fermentation alcoolique, soit elles sont libérées par l'autolyse des levures. Elles peuvent également être obtenues à partir d'écorces de levures, par digestion enzymatique, sous l'action d'une bêtaglucanase. Qu'elles soient excrétées au cours de la fermentation ou libérées pendant l'élevage, ces mannoprotéines sont chimiquement proches, mais n'ont pas les mêmes propriétés.
Les mannoprotéines issues de l'autolyse de la levure sont les mieux connues. Elles sont à l'origine d'une partie des effets bénéfiques de l'élevage sur lies : ce sont des colloïdes protecteurs. Bien que de nature protéique, elles améliorent la stabilité des vins blancs. Ainsi, après un long élevage sur lies, le traitement à la bentonite devient souvent facultatif. De même, une préparation de mannoprotéines obtenue par digestion enzymatique permet, à 25 g/hl, de diminuer de moitié la bentonite nécessaire à la stabilisation protéique. La mannoprotéine impliquée est le fragment d'une enzyme pariétale de la levure - l'invertase - libérée au cours de l'autolyse. Elle n'est pas adsorbée par la bentonite.
Les mannoprotéines participent aussi à la stabilisation tartrique des vins, en inhibant la croissance des cristaux de tartre qu'elles entourent. De ce fait, elles peuvent paraître diminuer l'efficacité de traitements physiques de stabilisation. Pourtant, les vins blancs élevés plusieurs mois sur lies sont souvent suffisamment stables pour ne pas nécessiter de traitement par le froid. Le même résultat est obtenu avec 25 g/hl de mannoprotéines issues d'une digestion enzymatique de parois de levures.
Virginie Moine-Ledoux et Denis Dubourdieu, à la faculté d'oenologie de Bordeaux, ont isolé la mannoprotéine efficace sur la stabilisation tartrique, qu'ils ont brevetée sous le nom de Mannostab TM. Pour chaque vin, il existe une dose optimale au-delà de laquelle l'effet stabilisant diminue. A la dose adéquate, la préparation est aussi efficace qu'un traitement par le froid. Elle l'est un peu moins que l'acide métatartrique, mais a l'avantage d'avoir un effet durable.
En dehors de ces deux grands effets, les mannoprotéines ont d'autres intérêts oenologiques, notamment sensoriels. Leur implication dans les sensations de rondeur et de gras n'est pas certaine. En revanche, elles ' enrobent ' les tanins en diminuant la perception de l'astringence, d'après des travaux récents menés à l'université de Bourgogne. Elles inhibent en partie l'agrégation des tanins. Ce sont surtout les mannoprotéines produites et excrétées pendant la fermentation alcoolique qui jouent un rôle à ce niveau. Les mannoprotéines obtenues industriellement sont moins efficaces. Les tanins se fixeraient sur la fraction protéique de ces molécules, les chaînes de sucres intervenant dans la configuration de la mannoprotéine, la rendant plus ou moins favorable à la fixation. Ainsi ' enrobés ', les tanins sont moins disponibles pour interagir avec les protéines salivaires ; la perception de l'astringence est donc moindre.
Il est possible également qu'elles interagissent de la même façon avec des molécules aromatiques. Elles en diminueraient la volatilité. L'intensité aromatique s'en trouverait réduite, au profit de la persistance en bouche et de la finesse.
De même, les mannoprotéines sont réputées améliorer la finesse de la mousse et sa persistance. En effet, les protéines jouent un rôle sur ces paramètres du fait de leurs propriétés de surface. Des travaux, menés sur le cava et le champagne à Tarragone (Espagne) et à Epernay, montrent que l'adjonction de levures sèches inactivées à la liqueur de tirage améliore nettement la mousse. Les mannoprotéines jouent certainement un rôle à ce stade.
Autre propriété qui leur est imputée : elles serviraient de source de nutriments azotés aux bactéries lactiques, qui sont capables de les dégrader, contrairement à d'autres protéines. La population bactérienne augmente et la phase de latence de la fermentation malolactique est réduite en présence de mannoprotéines. Enfin, c'est une mannoprotéine - la floculine - qui est responsable du caractère floculant des levures. Située en surface de la paroi levurienne, elle intervient comme un signal de reconnaissance entre les levures qui s'agglomèrent. Elle n'est pas synthétisée pendant la fermentation. Avant la fermentation, les sucres interagissent avec elle et brouillent le signal de reconnaissance. C'est pourquoi l'agrégation des levures ne se produit qu'en fin de fermentation.
Actuellement, l'adjonction de mannoprotéines dans le vin n'est pas autorisée. L'élevage sur lies permet d'exploiter celles naturellement produites par les levures de la fermentation. Mais il doit être suffisamment long pour une bonne autolyse des levures : la stabilisation protéique demande une dizaine de mois d'élevage. L'adjonction d'écorces de levures ou de levures inactivées en élevage peut être une source supplémentaire : leur lyse produit le même type de mannoprotéines que celles libérées par l'élevage sur lies.
Dans un travail mené à l'université de Dijon avec OEno France, Stéphane Boivin a montré comment enrichir les vins en pilotant la fermentation alcoolique. Selon son étude, les vins issus de moûts très clarifiés contiennent plus de mannoprotéines. Les bourbes, riches en stérols, rendent la paroi levurienne plus étanche, freinant la libération de ces substances pendant la fermentation. Pour compenser l'effet support des bourbes et faciliter la fermentation, il est possible d'ajouter de la cellulose au moût clarifié. La libération de mannoprotéines pendant la fermentation est alors très importante.