Dans certaines régions, les agents de la Protection des végétaux ont consigné les stocks d'arsénite de soude. Or, des bidons commencent à se dégrader. Les vignerons veulent des solutions pour les éliminer. L'administration ne tient pas ses promesses.
Les vignerons possédant des stocks d'arsénite sont excédés. Depuis l'interdiction brutale de ce produit en 2001, ils se retrouvent avec leurs bidons sur les bras. 300 t seraient ainsi en leur possession, d'après la Fédération française des coopératives agricoles de collecte d'approvisionnement et de transformation. Il y en aurait autant chez les distributeurs (coopératives et négoces) et le double chez les industriels.
Selon un sondage de BVA, réalisé à la demande d' Agro Distribution , revue du groupe France Agricole, 13 % des 404 vignerons interrogés déclarent avoir un peu de stock et 1 % un stock important. Mais toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne. Les vignerons du Val de Loire auraient le plus de stock : 2,6 % déclarent en avoir beaucoup et 22,9 % un peu. Alors que dans l'Est, seuls 0,8 % de viticulteurs disent en avoir beaucoup et 9,4 % un peu.
Explications en Champagne : ' Chez nous, l'esca et l'eutypiose ne sont pas très importantes. Nous ne sommes pas une région où il se faisait beaucoup de traitements à l'arsénite. Dès que nous avons su que cette substance allait être interdite, nous avons envoyé un courrier à nos clients pour leur demander de nous ramener leurs bidons. Du coup, le stock est chez nous, à savoir environ 7 t. Cela nous pose un problème de gestion de place, car les livraisons de morte-saison arrivent ', explique Luc Truchon, de la CSGV (Coopérative du syndicat général des vignerons) dans la Marne.
Les choses sont différentes dans d'autres régions comme le Bordelais ou le Languedoc-Roussillon, où certains distributeurs se sont empressés de vendre l'arsénite juste avant son interdiction. Michel Larguier, chef du service de la Protection des végétaux du Languedoc-Roussillon, explique qu'entre fin 2001 et aujourd'hui, 28 contrôles chez les distributeurs et 123 chez les utilisateurs ont été effectués dans sa région. 57 000 l d'arsénite ont été comptabilisés chez les applicateurs (vignerons et prestataires) et 27 500 l chez les distributeurs. ' Les contrôles ayant ciblés les acheteurs les plus importants, on ne peut pas en déduire le stock total ', explique Michel Larguier.
Les agents de la Protection des végétaux ont réalisé la consignation des stocks d'arsénite de soude. Ils ont noté et communiqué aux détenteurs, la quantité exacte d'arsénite en leur possession. Ils les ont informés de l'interdiction d'utiliser le produit. Mais surtout, ils ont entouré les stocks de ruban avec le logo de la Protection des végétaux pour éviter qu'ils n'utilisent la marchandise. Un procès-verbal a même été délivré début 2002, car les agents ont découvert un vigneron ayant fait préparer par son ouvrier une bouillie à base d'arsénite en vue d'un traitement. L'affaire est en cours d'instruction.
En Aquitaine, Marc Coussy, responsable de la division des contrôles phytosanitaires et des produits antiparasitaires de la Protection des végétaux, explique qu'une cinquantaine de vignerons ont été contrôlés entre fin 2001 et 2002. Tous avaient des stocks. ' Nous sommes allés en priorité chez les vignerons détenteurs d'au moins 200 l ', explique-t-il. Les stocks ont été consignés et les vignerons ont signé un engagement spécifiant qu'ils ne devaient pas les utiliser.
Ces actions sont mal vécues par les vignerons. ' On nous interdit quelque chose mais, à côté, on ne trouve pas de solution pour le détruire ', explose l'un d'entre eux. Effectivement, depuis le début de l'année, on leur promet la mise en place d'un plan de récupération. L'année 2003 se termine et ils n'ont toujours rien vu venir. Pourtant, il y a urgence. ' J'ai vu des bidons métalliques ayant dix à quinze ans qui s'oxydent et qui fuient. Cela représente quatre ou cinq cas sur la centaine d'exploitations que je suis ', explique un distributeur dans la région de Langon (Gironde). Un autre du Maine-et-Loire a constaté quelques cas ' de formulations qui se dégradent. Le produit a tendance à précipiter et à attaquer les parois '. Michel Larguier a enregistré le cas, dans sa région, d'un distributeur qui a signalé à la Drire (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement) et à la Draf (Direction régionale de l'agriculture et de la forêt) un problème de fuite.
Même si ces situations restent marginales, elles doivent être prises en compte. Il est vrai que les bidons en plastique sont résistants. Mais ' les étiquettes se dégradent. A terme, cela peut créer des confusions. Ce n'est pas très sérieux, surtout quand on nous demande de conserver les produits dans leur emballage avec l'étiquette ', déplore ce vigneron du Maine-et-Loire, en possession de 70 l d'arsénite. Chez lui, le produit est entreposé dans un local de stockage de phytos fermé à clef. Pour le séparer du reste, il va acquérir une armoire métallique.
Mais il dénonce le danger. ' Je ne serais pas courageux en cas d'incendie, vu la toxicité des vapeurs . ' ' Nous ne sommes pas équipés comme les pompiers ', rajoute un vigneron de Gironde, en possession de 200 l d'arsénite de soude. Ce dernier est d'autant plus en colère que cette immobilisation lui coûte de l'argent. De plus, entre le moment où il a acheté l'arsénite de soude et aujourd'hui, il est passé en viticulture biologique. ' Par rapport à ce choix, cela me gène beaucoup d'en avoir chez moi. ' Un autre vigneron du Langonnais (Gironde) s'interroge : ' Dans trois à quatre ans, je pars en retraite. Que vais-je faire de mes 60 l ? '
Espérons que d'ici là, le problème sera solutionné. Adivalor a mis au point le plan de récupération. Il manque juste le financement, à savoir 4 à 8 millions d'euros. Les ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture jouent au ping-pong. La Direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture confirme l'urgence du problème. Elle est informée de la dégradation de certains stocks. Par contre, elle insiste sur le fait que l'arsénite étant un déchet, sa récupération est du ressort du ministère de l'Ecologie. De son côté, ce dernier a demandé aux préfectures un bilan de l'état des stocks chez les vignerons. Il est ressorti de cette enquête qu'ils seraient quasiment nuls ! Inexistants ! Pour le ministère de l'Ecologie, il n'y a donc aucune raison de s'alarmer. Voilà un mystère à éclaircir !