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Ouzbékistan : Champan, village du mousseux, cherche un savoir-faire

La vigne - n°150 - janvier 2004 - page 0

A 50 km de la capitale, un village ouzbek est entouré de vignes. Il s'appelle Champan, nom qui se prononce champagne. Ses raisins sont transformés, avec les moyens du bord, en un mousseux de cuve close et de mauvaise qualité.

Toutes les usines à vin de Crimée ont été détruites par la seconde guerre mondiale et les vignobles totalement dévastés. Pour reprendre et réorganiser la production de mousseux en Union soviétique, les savants de Crimée ont parcouru bien des régions avant d'atterrir dans les environs de Tachkent, la capitale de l'Ouzbékistan. A 50 km de la ville, ils ont créé un vignoble en 1942, appelé Champan, et un centre de pressurage. Les premières vignes ont été plantées et un village s'est bâti là. Il porte le même nom, comme l'indique, en lettres cyrilliques, le panneau à l'entrée.

Le terrain vallonné rappelle fortement la région beaujolaise. En certains endroits, les pentes sont plus douces. Au loin se dessinent les premiers contreforts du Pamir et de l'Himalaya. Une escouade de cueilleurs est à la tâche. Les femmes, couvertes d´un foulard blanc et vêtues de robes chamarrées, s'appliquent. Les hommes, un peu gouailleurs, déversent sans discontinuer des caisses de cabernet franc, de muscat, de cabernet-sauvignon, de pinot noir, de chardonnay et de variétés locales dans les vieux camions soviétiques. Ces raisins serviront surtout à la fabrication du ' champagne ' d'Asie Centrale.
Les 750 vendangeurs mènent une vie désoeuvrée neuf mois sur douze. De septembre à novembre, ils travaillent dans les vignes du lever du jour jusqu'à 16 heures, pour environ 30 euros/mois. Sur les 700 ha de ce vignoble, ils récoltent 10 000 t de raisins qui donneront ensuite trois millions de cols de champanski. 80 % de la récolte sont destinés à la fabrication du vin mousseux, le reste est consacré à la production d'eau-de-vie, de petits vins et de vins doux.

Après pressurage, les moûts sont expédiés vers la Champanski Zavod (l'usine à champagne), dans la proche banlieue de Tachkent. Elle tourne seulement trente jours par an par manque de matière première. Elle a produit ses premières bouteilles de champanski juste après la guerre. Dans les années soixante-dix, la production s'élevait à plus de dix millions de bouteilles par an. Sous l'ère Gorbatchev, 80 % des vignes ont été détruites pour combattre l'alcoolisme. Depuis son accession à l'indépendance en 1991, l'Ouzbékistan, pays à vocation agricole, souffre du manque de compétences techniques et de mécanisation. Tout matériel agricole acheté à l'étranger, y compris les Républiques voisines ex-soviétiques, doit se payer en devises. Or, la Champanski Zavod, société en partie privatisée, uniquement à capitaux ouzbeks, n'a même pas assez d'argent pour acheter du raisin aux paysans.
' Nous aimerions avoir des investisseurs étrangers, surtout des Français champenois ', certifie Ikrom Islamov, directeur du centre de pressurage. Pendant les vendanges, il parcourt le vignoble comme un cerbère, harcelant les cueilleurs à l'échine courbée.
Au centre de pressurage, le raisin passe dans des pressoirs continus d'origine soviétique, qui vont à vau-l'eau. Les grappes ne sont pas triées. Le moût est immédiatement stocké dans des cuves énormes. Il sera transféré à la demande vers la Champanski Zavod. Ce séjour imprécis et incontrôlé en cuves ne semble pas embarrasser Ikrom Islamov outre mesure.

Le jus, une fois à l'usine, passe dans des cuves de débourbage pour être clarifié. On rajoute du sucre et on levure. On laisse fermenter dans des cuves closes durant dix-sept jours. Le vin mousseux est ensuite refroidi pendant deux ou trois jours à - 3 ou - 4°C, pour tuer les levures. Enfin, on rajoute de la liqueur, selon que l'on souhaite un brut, un sec, un demi-sec ou un demi-doux. Tous ces vins produisent une mousse lourde qui retombe vite et donnent souvent mal à la tête...
La séparation des lies se fait au travers de filtres en plastique. Ensuite, le vin repose six heures au froid avant d'être mis en bouteilles. Un bouchon en plastique, maintenu par un muselet, l'emprisonne. Il est embouteillé par une chaîne Seitz, installée en 1995, le seul équipement neuf avec la laveuse de bouteilles vides.
Pourtant, cette terre est bénie des dieux. Les coteaux sont bien exposés au soleil, et reposent sur des terrains limoneux et argileux. Le climat est doux en hiver, mais il gèle la nuit. L'été est long et souvent torride, d'où des vendanges précoces. Etangs et rivières compensent le manque de pluie et d'humidité en été.

' Il ne manque que le savoir-faire des Français et des investisseurs ', certifie Tachbaï, l´oenologue local. Pendant les vendanges, il passe beaucoup de temps à surveiller la maturation. Selon lui, il y a de quoi faire un vin irréprochable ici et de bonnes raisons de s'y atteler : des demandes existent du Kazakhstan voisin et des autres Républiques de l'ancienne Union soviétique. Ces pays d'Asie Centrale comptent 55 millions d'habitants qui sont, pour la plupart, musulmans, mais boivent du champanski et d'énormes quantités de mauvaise vodka. La présence des Russes, depuis 140 ans, n'y est pas pour rien. Sur place, on attend beaucoup des Français, certes comme investisseurs, mais aussi pour qu'ils apportent au champanski le corps et la légèreté qui lui font défaut.

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