Malgré son climat rude, cette province du nord de la Chine attire les investisseurs. Ils comptent sur la proximité de Pékin pour écouler leurs vins à bon prix. La France a choisi d'y installer le domaine pédagogique qu'elle a réalisé avec la Chine.
L'hiver, sur les terres caillouteuses du Hebei, balayées par les vents glacials de Mongolie, le thermomètre descend à - 25°C. En prévision du gel, fin octobre, les paysans décrochent les sarments, les plient et les posent au fond du sillon dans lequel la vigne est plantée. Puis, ils recouvrent la souche et ses sarments de 50 cm de terre.
Le domaine de Taishi prend cette précaution, comme ses voisins. ' Et en mars, cent à deux cents personnes viennent déterrer nos vignes avec des pelles ! ', commente Nicolas Billot-Grima, de France-Tech China, responsable de ce vignoble franco-chinois de 22 ha, à 60 km de Pékin.
A part cette contrainte, impressionnante mais au coût modeste (2 à 3 euros/jour/personne), le Hebei présente plusieurs avantages. Cette province est proche de la capitale, peuplée d'une clientèle riche. Elle possède un attrait touristique majeur : la Grande muraille de Chine. Le réseau autoroutier s'y développe.
Aux yeux des paysans et des autorités, la vigne offre elle aussi des intérêts. Elle valorise les terres caillouteuses, inutilisables en grande culture. Elle aide ainsi la population locale à rester dans les villages. Cependant, comme les 700 mm de pluie annuels tombent surtout en été, elle a besoin d'une irrigation printanière après la protection hivernale.
Tous ces arguments ont plaidé en faveur de l'installation du domaine pédagogique de Taishi, dans le Hebei, un investissement de la France et de la Chine. ' L'Hexagone offre les équipements, le matériel végétal et le suivi technique, soit 1,7 million d'euros sur cinq ans. La Chine fournit le terrain, les bâtiments et la main-d'oeuvre , détaille Marie-Hélène Le Hénaff, conseillère à la Mission écono- mique française, à Pékin. Le but est de montrer le savoir-faire français dans la culture de la vigne et l'élaboration du vin. Nous souhaitons aussi réaliser un centre de formation pour les techniciens chinois. '
Depuis 2001, plus de 100 000 plants de vignes greffés, importés de France, ont été plantés sur le domaine : 16 ha de rouges et 6 de blancs. Le transfert fut épique : certains pieds ayant été mal nettoyés de leur terre, les douaniers ont bloqué la cargaison pendant deux mois. Dans un pays où les vignes ne sont pas greffées, on ne plaisante pas avec le phylloxéra. Aujourd'hui, le domaine emploie une vingtaine de personnes à temps complet, surtout des femmes, sauf pour les travaux de force.
La première vinification s'est déroulée en septembre. ' Ce sera un vin d'assemblage, dans l'esprit du bordeaux mais au goût des Chinois, léger et fruité. Tout est déjà vendu, à 10 euros/col. Pékin est un marché intéressant , révèle Nicolas Billot-Grima, fils de vigneron à Fronsac. De grandes sociétés investissent dans d'immenses unités de 100 000 hl qui vinifient du raisin acheté aux paysans. Nous voulons démontrer qu'une petite structure réunissant vigne, cave et commercialisation est viable. Nous désirons aussi créer des appellations selon le modèle français. Les Chinois maîtrisent cette notion de terroir, appliquée au thé. '
Nicolas Billot-Grimat déplore que les Français soient peu présents, contrairement aux investisseurs du Nouveau Monde. Avec ses 30 000 hl annuels, la joint-venture sino-américaine de Rongchen, fondée en 1997, est de taille moyenne. Ses vignes couvrent 200 ha, dont 20 % de blancs et 80 % de rouges. Son chai est équipé en matériel italien. Ses cuves, en Inox chinois, résistent mal à l'oxydation. Son vin est également destiné à la classe aisée pékinoise.
Autre société implantée dans le Hebei, Great Wall (la grande muraille). C'est le second vinificateur du pays : 500 000 hl/an, alors que la Chine a produit 3 Mhl en 2002. Son usine près de Taishi possède des vignes et achète du raisin à des paysans, qui exploitent un millier d'hectares. La société y produit 225 000 hl. La vinification s'effectue dans des cuves géantes de 5 000 hl, qui semblent difficiles à contrôler. Les vins sont mis en bouteilles par une chaîne italienne (25 000 cols/h). Une partie des 600 employés s'affairent à leur présentation dans un fourreau plastique et un luxueux emballage. Le col se vend de 6 à 50 euros pour le vin de glace. Les responsables de l'entreprise sont optimistes : la perspective des jeux Olympiques, en 2008, va inciter les Chinois à consommer des vins.
Tous les vins du Hebei ne sont pas destinés aux Pékinois. Sun Fang Xun les vend aux provinces du sud de la Chine et à Hongkong, dont le climat ne permet pas la culture de la vigne. Il conseille des caves chinoises sur les techniques récentes de vinification, forme les commerçants à la vente et importe du vin bordelais. ' En Chine, les paysans sont payés au poids et veulent produire au maximum. On obtient de meilleurs résultats dans des sociétés qui possèdent leur propre vignoble. '
Sun Fang Xun enseigne également l'oenologie et la dégustation à l'université de Qingdao, la capitale du vin en Chine, située dans la province de Shandong. Une initiative intéressante car, aussi étonnant que cela puisse paraître, il semble impoli de goûter au vin, même chez les producteurs. Au kampé rituellement prononcé par le maître de maison, le verre doit s'avaler d'un trait après avoir trinqué avec tous les convives. Les Chinois boivent le vin comme un alcool fort, et non pas comme un thé dont ils savent pourtant déguster les infinies subtilités.