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Rouges sur lies, un élevage trop protecteur

La vigne - n°151 - février 2004 - page 0

Pendant l'élevage, les lies se précipitent sur tout apport d'oxygène. Elles l'absorbent tellement vite qu'elles en privent les composés phénoliques, rendant impossible leur oxydation ménagée. Cette observation de l'Inra de Montpellier remet en cause l'intérêt de l'élevage sur lies des vins rouges.

L'oxygène joue un rôle majeur lors de l'élevage des vins rouges en barrique. Une oxydation ménagée spontanée a lieu dans ce contenant. Elle conduit à la transformation oxydative et bénéfique des composés polyphénoliques : la couleur devient plus stable, l'astringence diminue. C'est pour cette raison que la micro-oxygénation a été développée, technique visant à mimer les échanges gazeux qui ont lieu naturellement en barrique. Parallèlement, sur le modèle des vins blancs, l'élevage des rouges sur lies fines avec bâtonnage s'est développé. L'autolyse des levures est ainsi favorisée. Des composés sont libérés dans le vin, qui lui confèrent du gras, du moelleux et un meilleur potentiel de garde.
Réaliser un élevage de vins rouges sur lies en barrique aurait donc pour atout de combiner l'oxydation ménagée des polyphénols et une amélioration sensorielle. Or, cela semble illusoire. Des travaux, réalisés en 1999 et 2000 par l'Inra de Montpellier, ont mis en évidence la forte capacité des lies à consommer l'oxygène durant l'élevage des vins. Elles possèdent ce pouvoir pendant une durée allant de six mois à plus de trois ans, à 14°C.

Cette consommation a lieu même lorsque les levures sont mortes. Elle décroît au cours de l'élevage. Et elle est largement supérieure à celle attribuée aux composés phénoliques, souvent tenus pour principaux consommateurs d'oxygène dans les vins. A tel point que lors d'un bâtonnage, la totalité de l'oxygène transféré au vin est utilisée très rapidement par les lies, sans profiter à l'évolution oxydative des polyphénols. C'est d'ailleurs ce qui protégerait les vins blancs sur lies de l'oxydation. Cette capacité des lies à consommer l'oxygène est attribuée à un système complexe déjà présent dans les levures lors de la fermentation alcoolique. Lors de l'élevage, ce complexe conduit à la formation de fragments polyèniques, à partir de stérols de la levure (notamment l'ergostérol).
Depuis quatre ans, l'Inra de Montpellier réalise des essais sur des vins rouges microfiltrés, auxquels les chercheurs ajoutent ou non des lies. Ils simulent un bâtonnage accéléré, avec apport ou non de faibles quantités d'oxygène. Ils réalisent ensuite des tests organoleptiques. Malgré leurs efforts, ils n'ont pas encore bien cerné l'incidence des fragments polyèniques sur le vin. Par ailleurs, les essais montrent effectivement qu'en présence de lies, si le gras et le moelleux augmentent, la micro-oxygénation n'a qu'un effet très limité sur les polyphénols.

Cependant, la consommation d'oxygène des lies diminue au cours du temps. Il est alors envisageable de piloter les apports d'oxygène en mesurant sa concentration dans le vin, afin de déterminer le seuil à partir duquel il devient disponible pour les polyphénols. Le principe serait d'arriver à saturer les lies pour pouvoir, ensuite, apporter la petite dose qui provoquera l'oxydation ménagée des polyphénols. Malheureusement, cela n'est pas réalisable.
' Les deux phénomènes de consommation sont d'une ampleur très différente. Il faut apporter de fortes quantités d'oxygène aux lies. Puis il faut des systèmes très fins pour pouvoir apporter de faibles quantités aux polyphénols, juste au moment où les lies saturent. Nous n'avons jamais réussi à le réaliser en site pilote. Alors, en cave, c'est difficilement pensable ', regrette Jean-Michel Salmon, directeur de recherches à l'Inra de Montpellier (Hérault).
Les chercheurs de l'Inra ont essayé de contourner ce problème. ' Lorsqu'on ajoute de l'oxygène au cours de la fermentation, la capacité des lies à en consommer devient moindre ', explique Jean-Michel Salmon. L'idée est de forcer les levures à consommer de l'oxygène pendant la fermentation alcoolique, jusqu'à épuisement du substrat avec lequel il réagit. ' Il faudrait avoir une meilleure idée des molécules libérées et de leur impact, car on fait consommer aux levures jusqu'à trois à quatre fois la saturation en oxygène du vin, soit jusqu'à 28 mg/l d'oxygène, ce qui n'est jamais atteint normalement lorsqu'on réalise de la micro-oxygénation ', souligne Jean-Michel Salmon.
' Pendant quatre ans, on a essayé de mener l'oxydation des polyphénols et l'élevage sur lies de front, et cela s'est avéré impossible avec les moyens actuels. La meilleure solution, c'est encore de séparer les deux en élevant, d'un côté, les lies et, de l'autre, le vin. On obtient du gras en travaillant les lies séparément. D'ailleurs, c'est ce que font depuis longtemps des oenologues suisses pour certains vins blancs. Les lies sont entreposées dans des tanks réfrigérés et bâtonnées à l'air libre. Il suffit de puiser dans ce tank pour réincorporer les lies, donc du gras. '
Pour les vins rouges, il suffit de récupérer les lies fines en fin de fermentation, ce qui suppose de disposer, par exemple, de cuves à fond incliné avec soutirage par le bas. Ces lies sont ensuite placées dans un tank avec un rapport surface sur volume important, et équipé d'une hélice. Il est possible d'accélérer le processus d'autolyse des levures, notamment par la chaleur ou par l'ajout d'enzymes. Parallèlement, le vin doit être filtré, voire microfiltré sur un filtre tangentiel, afin de réduire sa population microbienne, et donc de mieux gérer les apports d'oxygène. Puis, l'élevage, par micro-oxygénation ou en barrique, peut être réalisé.

Une fois que le vieillissement voulu est atteint, il suffit de réincorporer les lies. L'Inra a réalisé des essais d'élevage du vin et des lies séparément, mais ne dispose pas encore d'assez de recul. Les résultats sont variables selon les années, mais aucun défaut majeur n'a été constaté. Certes, cet élevage différencié représente un coût mais, à ce jour, c'est le seul moyen efficace de faire vieillir les vins rouges tout en tirant profit du gras apporté par les lies. ' Il y a eu un gros engouement pour l'élevage sur lies fines des vins rouges, mais si on ne tient pas compte de la capacité de consommation en oxygène des lies, c'est ingérable ', précise Jean-Michel Salmon.

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