Certains pédiocoques produisent des filaments qui rendent le vin ' huileux '. Ces bactéries lactiques sont capables de se développer dans des milieux très contraignants.
La maladie de la graisse est également appelée maladie des vins filants. Elle se caractérise par le développement de filaments dans le vin, qui augmentent sa viscosité et lui confèrent une consistance huileuse. Ce n'est pas vraiment une altération du vin car, en dehors de l'aspect visuel, elle ne provoque aucune modification organoleptique. Elle est surtout liée à une bactérie lactique, Pediococcus damnosus, dont certaines souches sont dotées d'une capacité à produire des polysaccharides exocellulaires.
Ces souches sont pourvues d'un plasmide (fragment d'ADN circulaire typique des bactéries) qui leur est spécifique. Ce plasmide permet, en laboratoire, de détecter la présence de ces pédiocoques nuisibles et d'évaluer le niveau de risque.
De récents travaux d'Emilie Walling, à la faculté d'oenologie de Bordeaux, ont démontré que d'autres bactéries lactiques pouvaient produire ces filaments et être responsables de vins filants, notamment Oenococcus oeni, principale bactérie réalisant la malo, et deux lactobacilles, Lactobacillus collinoides et L. hilgardii.
Quand elles se multiplient dans un milieu contenant du glucose, les souches nuisibles produisent et excrètent un glucane, polysaccharide formé à base de glucose. Ce dernier relie les cellules les unes aux autres en formant des chaînettes. Ce sont ces filaments qui épaississent le vin. Les autres sucres du vin (fructose, pentoses) ne permettent pas la synthèse de ce filament. En revanche, quelques dixièmes de grammes de glucose par litre de vin suffisent pour observer l'apparition de l'altération. La production du glucane étant mesurable à partir de concentrations d'environ 0,5 g de glucose/l de vin, la maladie peut apparaître dans des vins réputés secs.
L'altération est sensible quand la population dépasse 1 milliard UFC/ml (unités formatrices de colonies par millilitre). Ce seuil est atteint d'autant plus rapidement que les souches filantes sont incroyablement adaptées à la croissance dans le vin. Elles se développent avec la même facilité, quel que soit le degré alcoolique, même au-dessus de 12 % vol. ; leur croissance est à peine ralentie quand le pH descend à 3,5 et elles sont peu sensibles au SO 2. Dans son Traité d'oenologie, Pascal Ribéreau-Gayon note que leur croissance reste normale avec 30 mg/l de SO 2 libre à un pH de 3,7. Les souches filantes peuvent se maintenir deux mois en bouteille à des niveaux de population relativement élevés (entre 10 000 et 1 M d'UFC/ml), même avec des teneurs en SO 2 de 50 mg/l ! De tels niveaux tueraient ou, au moins, inhiberaient la plupart des autres micro-organismes.
En outre, ces bactéries présentent des formes de survie et de croissance qui les rendent redoutables. Leur rendement augmente dans un milieu appauvri. Ainsi, la même biomasse de bactéries filantes produira deux à trois fois plus de glucanes à partir de 0,1 g/l de glucose que de 2 g/l. De même, la production de polysaccharide est plus élevée, pour la même quantité de sucre initiale, quand le milieu est appauvri en azote. Il est démontré que les milieux considérés comme stressants orientent le métabolisme de ces bactéries vers la production de glucane, ce qui explique l'apparition de cette maladie sur des vins finis après vinification ou, pire, en bouteille.
Si elles sont plus résistantes que les autres micro-organismes, ces bactéries sont tout de même favorisées par des conditions moins extrêmes. C'est pourquoi ces dernières années, cette maladie est en recrudescence, alors qu'elle était tombée dans l'oubli. ' Les paramètres analytiques des vins évoluent, avec des pH qui remontent, explique Laurent Massini, de l'Institut rhodanien. Le milieu est devenu beaucoup plus favorable. '
La maladie, on l'a dit, ne provoque que des défauts visuels. Ils peuvent être dramatiques en terme d'image s'ils surviennent en bouteille. En revanche, le vin en cuve peut être traité aisément. Aucune enzyme n'est toutefois efficace, car la structure du glucane ne s'y prête pas. Le seul moyen de le faire disparaître reste un traitement mécanique : il faut littéralement battre le vin pour rompre les chaînes de glucane, au cours d'un soutirage. Ensuite, il faut le sulfiter pour atteindre au minimum 30 mg/l de SO 2 libre et le filtrer. Il convient d'utiliser d'abord une terre de porosité moyenne pour retenir le colloïde, avant d'appliquer une filtration stérilisante ou, mieux, une flash-pasteurisation pour se débarrasser des bactéries. Cette dernière technique serait la plus efficace. Des essais de Martin Vialatte oenologie, menés en Côtes du Rhône septentrionales, ont aussi démontré l'intérêt du lysozyme pour détruire les pédiocoques. ' Si la maladie en elle-même n'altère pas le vin, il ne se remet jamais vraiment d'un traitement d'une telle brutalité ', souligne Françoise Dijon, à l'Institut rhodanien.
Du fait de la grande résistance de ces contaminants, il convient d'être strict sur l'hygiène quand la maladie s'est développée dans un chai.
Il faut toujours garder à l'esprit que le problème des vins filants peut apparaître dans les bouteilles, plusieurs mois après la mise. Il ne faut pas oublier non plus qu'un vin stérilisé à un moment donné ne l'est pas indéfiniment : il peut être recontaminé par la suite. Le traitement stérilisant, de préférence à la chaleur, doit être appliqué juste avant l'embouteillage sur les vins à risque.
Plus en amont, les oenologues recommandent une bonne maîtrise des populations de micro-organismes, en utilisant au maximum des souches sélectionnées, que ce soit pour la fermentation alcoolique ou la malo. L'emploi de levains malolactiques dans des situations à risque est doublement conseillé : d'une part, parce que les bactéries sélectionnées ne sont pas productrices de glucanes et, d'autre part, parce qu'il faut réduire au maximum le temps de latence entre la fin de la fermentation alcoolique et le début de la malo, afin d'empêcher l'installation de bactéries de contamination. Ces recommandations sont d'autant plus valables que les conditions sont favorables à leur développement (pH élevés, sucres résiduels...).