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Un risque d'oxydation durant le dégorgement

La vigne - n°152 - mars 2004 - page 0

Les services techniques de l'interprofession champenoise ont mesuré la dissolution d'oxygène dans les vins au cours du dégorgement : 2 à 5 mg/l. Sans sulfitage, ces quantités provoquent des oxydations, qui dépendent des matériels utilisés et de leur conduite. L'interprofession cherche à réduire la pénétration d'oxygène.

'De telles mesures n'ont jamais été réalisées ', annonce Isabelle Tribaut-Sohier, du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC). Avec Michel Valade, elle a mené à terme la première grande enquête pour évaluer la qualité de l'embouteillage. Tous deux ont mesuré l'oxygénation des vins lors du dégorgement dans huit grandes maisons du négoce et de la coopération. Ils ont quantifié les entrées d'oxygène dans les bouteilles aux quatre étapes du processus : après expulsion du dépôt de levures, après vidange, après dosage (ajout de la liqueur d'expédition) et après remise à niveau.

Premier constat : les bouteilles rebouchées immédiatement après l'expulsion du dépôt gelé, restées ouvertes quelques secondes seulement, contiennent 1,4 mg d'oxygène dissous par litre, en moyenne. Ce gaz pénètre donc dans le vin malgré le dégagement de CO 2 : il entre dans le col avec l'air ; il est emprisonné en refermant la bouteille, puis il se dissout dans le vin.
Par ailleurs, la dispersion autour de la valeur moyenne (l'écart type) est grande. Le dégorgement proprement dit a donc des répercussions disparates d'une bouteille à l'autre. Les différences tiennent au dégagement de mousse lors de l'ouverture (gerbage). Les cuvées sont plus ou moins réactives, selon qu'elles contiennent ou non des cristaux de tartre. Les bouteilles sont plus ou moins secouées sur les chaînes. Ainsi, la maîtrise de la stabilité tartrique ou le développement de lignes d'embouteillage sans choc des bouteilles permettraient-ils une meilleure homogénéité au sein d'un lot.
Quand on simule un arrêt machine juste après l'expulsion du dépôt, on monte vite à des valeurs élevées. Les bouteilles restées ouvertes cinq ou dix minutes dissolvent, respectivement, 4,9 et 5,9 mg/l d'oxygène. Cette fois, les écarts à ces deux valeurs moyennes sont faibles.

Après dix minutes d'attente, bouteilles ouvertes, en sortie de remise à niveau, on retrouve également 5 mg/l d'oxygène dissous. En l'absence de sulfitage, ces quantités ont une répercussion importante sur l'évolution du vin. En quelques semaines, elles provoquent l'apparition de notes franchement oxydées. Par mesure de prudence, il faut éliminer les bouteilles restées ouvertes sur les chaînes de dégorgement, en les recyclant. Sinon, on court le risque d'avoir des lots hétérogènes. La quantité d'oxygène dissous après vidange et dosage est semblable à celle introduite après expulsion du dépôt, avec de plus faibles écarts types. Les variations viennent du volume du dégarni, de la durée d'ouverture, de l'intensité du dégazage lorsque les canules de vidange ou celles de dosage s'enfoncent, ou encore par l'ajout de la liqueur.

Mais c'est au stade de la remise à niveau que l'oxygénation apparaît la plus forte : en moyenne 3,2 mg d'oxygène dissous par litre. Dans tous les cas, la pire des situations est l'arrêt de la machine, souvent involontaire (incident mécanique...), ou non (pause-café...). C'est plus du double de la valeur après dégorgement. Ce chiffre cache en fait une disparité. Selon la technologie utilisée pour ajuster le volume final, la machine induit une oxygénation relativement basse (entre 1,8 et 2,7 mg/l) ou élevée (4 à 5 mg/l). Il existe deux grands types d'embouteilleuses : celles conçues pour les vins tranquilles et adaptées aux chantiers champenois, et celles spécifiques au champagne. Le choix du matériel a donc des conséquences sur le profil des vins. ' Mais il est trop tôt pour en dire plus. Il n'est pas question de montrer du doigt tel ou tel fabricant. Nous voulons travailler en confiance avec les concepteurs de machines d'embouteillage pour progresser ', prévient Isabelle Tribaut-Sohier.
Au bout de la chaîne de dégorgement, une fois la bouteille bouchée et muselée, elle renferme 2 à 5 mg/l d'oxygène, alors qu'elle n'en contenait pas avant l'ouverture. Ainsi, en deux minutes, en moyenne, le vin reçoit autant d'oxygène que lors de son vieillissement sur lattes, pendant plusieurs mois ! Le CIVC a mesuré que tout l'oxygène dissous était consommé par le vin dans les mois qui suivent. Des dégustations deux mois après dégorgement ont fait ressortir l'incidence de l'oxygénation, à cette étape, sur l'évolution des champagnes. Sans sulfitage, très tôt des notes oxydatives de fruits secs, fruits mûrs et évent apparaissent sur les vins contenant entre 3 et 4 mg/l d'oxygène.
Pour atténuer ces effets néfastes, on sulfite couramment par le biais de la liqueur d'expédition. L'oxygène présent est alors consommé, non par les composés oxydables du vin, mais par le SO 2. Cet antioxydant préserve donc les arômes frais du champagne, mais peut donner des composés soufrés, responsables de notes désagréables de réduction. Cela dépend du type de vin, de la quantité d'oxygène dissous et de la dose de SO 2 ajoutée. Le sulfitage n'est pas une solution satisfaisante.
L'inertage du col de la bouteille par balayage à l'azote pourrait en être une autre. Le CIVC l'a testé et cette technique a donné de bons résultats. Reste à trouver une solution industrielle. ' Nous avons deux pistes de recherche : améliorer les machines existantes, et adapter aux chantiers champenois des concepts issus de l'agroalimentaire. ' Il faudra encore définir la dose d'oxygène dissous acceptable et les nouveaux niveaux de sulfitage correspondants.

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