Une étude menée à l'ITV de Narbonne montre qu'une hygiène poussée, durant les vinifications, peut nuire à la qualité du vin. Les plans d'hygiène stricts doivent être réservés à des millésimes difficiles.
Il ne sert à rien de nettoyer à fond le matériel vinaire pendant les vinifications. Cela peut même être risqué, du moins lorsque le millésime est sain. Ces résultats inattendus ressortent d'une expérimentation menée par Denis Caboulet, à l'ITV de Narbonne, en 2002. Ils viennent contredire les conclusions d'une étude similaire conduite par l'ITV de Tours, dix ans plus tôt, dont les résultats étaient en faveur de l'application d'une hygiène poussée.
Les deux expérimentations comparent l'impact, sur la qualité du vin, d'un plan d'hygiène normal et d'un plan strict. Dans le premier cas, le matériel est rincé à l'eau quotidiennement, jamais détartré, ni désinfecté. Avant utilisation, des souillures (restes de raisins, tartre...) sont visibles. Le second cas s'approche d'une hygiène de laiterie : un détartrant, puis un désinfectant sont utilisés chaque jour sur l'ensemble du matériel vinaire (seaux, comportes, tuyaux, pompes, égrappoir, pressoir et cuves). Autant que possible, les matériels sont démontés. Si les contrôles visuels et d'ATPmétrie ne sont pas satisfaisants après cette opération, la procédure est réitérée. ' L'hygiène de terrain se situe en général entre ces deux modalités , remarque Denis Caboulet. Mais des situations encore plus défavorables que le niveau considéré comme normal ne sont pas rares . '
Sur des vins du Midi - à pH et degrés potentiels souvent élevés et vinifiés en période chaude - l'application d'un plan d'hygiène minimaliste laisse craindre le pire.
En fait, les résultats de l'étude 2002 ne plaident pas en faveur de l'hygiène stricte. La présence de salissure n'a pas d'impact sur la cinétique de fermentation. Les levures sèches actives s'implantent mieux dans le cas d'une hygiène stricte, mais la fermentation n'est pas plus courte. En fin de fermentation alcoolique, la différence moyenne d'acidité volatile n'est que de 0,03 g/l ; elle atteint 0,08 g/l en bouteille après malo, pour des acidités volatiles qui tournent autour de 0,35 g/l au final.
L'expérimentation narbonnaise a même révélé des aspects néfastes d'une hygiène poussée. Après la fermentation, les vins ne sont pas ensemencés en bactéries lactiques. Toutes les fermentations malolactiques sont donc spontanées. Leur durée est toujours plus longue quand le nettoyage du matériel est poussé. Dans l'un des cinq lots vinifiés en 2002, la malo a tellement traîné que la volatile a atteint 1 g/l. Sa contrepartie en hygiène normale a fait sa malo en dix-neuf jours, un temps record pour cette expérimentation. Ce lot était issu d'une vendange saine. Il était donc a priori exempt de bactéries lactiques issues du raisin et n'avait pas été ensemencé par le matériel en hygiène stricte. ' Dans ce cas, il aurait fallu utiliser un levain malolactique ', admet Denis Caboulet. Quand la vendange est saine, l'application d'un plan d'hygiène strict n'est pas anodine et doit être accompagnée de précautions, comme le levurage et l'ensemencement en bactéries lactiques.
En Touraine, en 1992, l'étude menée par l'ITV avait pourtant conclu qu'une hygiène très stricte allait toujours dans le sens d'une meilleure qualité du vin. En fait, les résultats n'étaient aussi tranchés que dans les caves expérimentales de l'ITV. Dans deux cas, les vins élaborés en hygiène stricte étaient préférés, avec des volatiles nettement moindres.
Dans les autres essais, menés dans des caves particulières, les acidités volatiles des vins en bouteilles ne différaient pas. A la dégustation, le vin obtenu avec l'hygiène normale de la cave ressortait aussi bien, voire mieux que celui vinifié après un nettoyage très poussé. ' Dans cette expérimentation, réalisée en partie chez des particuliers, les protocoles de nettoyage 'normal' n'étaient pas connus ', explique Denis Caboulet. Si bien que la procédure appliquée en cave expérimentale a pu être plus minimaliste que ce qui est réellement mis en oeuvre sur le terrain. Les deux études de l'ITV montrent donc qu'il n'est pas utile de chercher à atteindre une hygiène de laiterie en cave, du moins quand le millésime est sain.
' L'idée de l'expérimentation était de montrer qu'il faut être conscient de son niveau d'hygiène , complète Denis Caboulet. Ce que montre notre essai, c'est que quand on change son niveau d'hygiène, ce n'est pas sans conséquence. Si le nettoyage est plus poussé, il faudra ensemencer les moûts et les vins pour fermenter et réaliser la malo dans les meilleures conditions. A l'inverse, si le niveau d'hygiène se dégrade, comme c'est le cas au cours de la saison, en général, il faudra prendre des précautions, en sulfitant davantage par exemple. De plus, si la vendange est pourrie, il faudra envisager des nettoyages et des désinfections en cours de campagne, voire tous les jours. Le jeu peut en valoir la chandelle. '