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L'arôme de poivron vert

La vigne - n°153 - avril 2004 - page 0

Le cabernet-sauvignon, le sauvignon et, parfois, le merlot ont un goût de poivron vert. Il est dû à l'IBMP, molécule qui signe le manque de maturité et l'excès de vigueur.

En 1975, l'IBMP est identifiée pour la première fois dans le cabernet-sauvignon. La 2-méthoxy-3-iso- butylpyrazine, abrégée IBMP, fait partie de la famille des pyrazines, molécules aromatiques formées d'atomes de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote. Ces composés sont très répandus dans les règnes animal et végétal. L'IBMP, retrouvée dans de nombreux légumes, est responsable de l'odeur caractéristique de poivron vert. Son seuil de détection dans l'eau est estimé à deux milliardièmes de grammes par litre (2 ng/l), soit une faible quantité.
Depuis une dizaine d'années, la participation de cette substance à l'arôme végétal des vins, en particulier à la note typique de poivron vert, a été démontrée dans le cas du cabernet-sauvignon, du sauvignon blanc et de certains merlots. Dans ces raisins, la teneur en IBMP dépasse significativement le seuil de détection olfactif.
Dominique Roujou de Boubée, à la faculté d'oenologie de Bordeaux, a fait déguster cinquante vins rouges de Bordeaux et de Loire, de plusieurs millésimes, à un jury de dix personnes pour quantifier l'intensité de l'arôme poivron vert. Les vins contenant en moyenne 10 ng/l d'IBMP étaient dépourvus de cette note végétale.

Dès 15 ng/l, les dégustateurs ont perçu l'arôme. Cette valeur a donc été définie comme seuil de perception olfactif dans le vin. Au-delà, le caractère végétal devient marqué. L'IBMP est présent à l'état naturel dans le raisin. On n'a pas identifié de précurseur de cette molécule. Elle est synthétisée essentiellement par les feuilles en période de croissance végétative, entre la nouaison et deux à trois semaines avant la mi-véraison. On a noté des teneurs plus élevées dans des vignes vigoureuses, dont l'arrêt de croissance est tardif. La molécule est transportée par la sève élaborée jusqu'aux grappes. A la récolte, la rafle en contient beaucoup, la pulpe très peu. Au sein des baies, elle est surtout concentrée dans la pellicule. Les baies peuvent également en produire elles- mêmes. Elles renferment une concentration maximale avant véraison, concentration qui chute jusqu'à la récolte, d'autant plus que les grappes sont exposées au soleil. L'IBMP se dégrade à la lumière, se transformant en molécule inodore.
Plus la vigne est ensoleillée, moins le vin est végétal. Ainsi, une teneur importante en IBMP dans la vendange traduit un manque de maturité. Dans la pratique, ce constat va souvent de pair avec un potentiel de couleur plus bas (moins d'anthocyanes) et des tanins de moins bonne qualité.
A la vigne, l'effeuillage de la zone fructifère peut réduire le caractère végétal des vins. Il augmente l'ensoleillement des grappes. Et la suppression des feuilles élimine une source de synthèse d'IBMP, et donc d'enrichissement des grappes. Pour une bonne efficacité, cet effeuillage doit être précoce, entre nouaison et fermeture de la grappe. A la récolte, les raisins sont alors plus riches en sucres, les baies plus petites et moins riches en pyrazine. L'élimination des entre-coeurs dans la zone des grappes, côté est, pratiqué à la même époque, donne des résultats similaires. Ces travaux en vert favorisent également un bon état sanitaire de la vendange.
Dans la vendange, l'IBMP est essentiellement contenu dans les rafles. La qualité de l'éraflage a donc une répercussion évidente sur la note poivron vert du vin.

Dès le foulage et les premières phases de pressurage des raisins blancs, l'IBMP est libéré. Avec le débourbage, les vinificateurs disposent d'un moyen de s'en débarrasser partiellement. Cette opération diminue de moitié sa concentration dans les moûts. En rouge, lors de la cuvaison, la molécule passe également très rapidement dans le jus. Aucun facteur d'extraction habituel, tels les remontages, les pigeages, ou la durée de macération, n'en accroît la teneur. Mais une partie de l'IBMP étant liée aux éléments solides, les vins de presse en contiennent davantage que les vins de goutte. De ce fait, ils ont souvent un caractère végétal plus prononcé. Aussi, leur élimination peut-elle participer à diminuer cette odeur.
La thermovinification, qui consiste à chauffer la vendange entre 60 et 80°C pour libérer des polyphénols et détruire les oxydases comme la laccase des raisins pourris, a été testée sur cinq vins de cabernet-sauvignon. Elle a permis, à chaque fois, de réduire le taux d'IBMP en dessous du seuil de perception olfactif : le chauffage dépasse le point d'ébullition de l'IBMP (de 50°C), et le composé se volatilise. Cette technique élimine l'odeur végétale de vins issus de raisins insuffisamment mûrs. Elle donne aussi des vins plus fruités, plus souples et colorés.

Enfin, il importe d'autant plus de résoudre ce défaut olfactif en amont que, lors du vieillissement en bouteille, la molécule est chimiquement stable. ' Il ne faut pas compter sur le temps pour atténuer ce défaut en bouteille ', conclut Dominique Roujou de Boubée. En effet, les mesures sur sauvignon et cabernet-sauvignon, après trois ans en cave (à l'abri de la lumière), n'ont pas révélé de diminution significative de la concentration en IBMP.



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