Confrontés à une érosion de leurs marchés traditionnels, les producteurs de Xérès misent sur les blancs secs, les ' finos ', pour séduire de nouveaux consommateurs. Une réorientation qui ne change en rien leur production originale.
Depuis 1996, les ventes de Xérès ont reculé de 22 % et tournent autour de 91 millions de bouteilles par an, pour une production voisine de 700 000 hl. Un déclin qui résulte surtout de la perte des débouchés à l'exportation. La Grande-Bretagne, les Pays-Bas et l'Allemagne qui absorbent 64 % des volumes, achètent de moins en moins. L'autre grand marché est l'Espagne, Andalousie en tête, où les ventes résistent.
' Notre vin est jugé démodé, doux, épais et sombre, l'opposé de la tendance actuelle ', regrette Javier Hidalgo, de la bodega Hidalgo, l'une des soixante-quatorze maisons produisant du Xérès. Elle est basée à Sanlucar qui est, avec Xérès et Cadix, l'une des trois villes autour desquelles s'étend le vignoble encépagé à 70 % en palomino et, pour le reste, en moscatel et pedro ximenez, trois cépages blancs. ' De nombreux consommateurs considèrent à tort le xérès comme une liqueur. Nous devons les faire changer d'avis et leur montrer qu'il peut se boire avec les repas, comme ici ', affirme César Saldana, directeur du Conseil régulateur des appellations Xérès et Manzanilla. Cet organisme, où sont représentés les bodegas et les viticulteurs, cumule quatre fonctions : veiller au respect des normes de production, fixer le prix du raisin, promouvoir et défendre l'appellation.
De fait, le Xérès ne se limite pas aux cream et pedro ximenez, des vins oxydés et très sucrés élaborés à partir du cépage du même nom ou de moscatel. Il existe aussi des blancs secs d'une grande finesse, issus du cépage palomino. Ce sont les finos. Lorsqu'ils proviennent des alentours de Sanlucar, où la proximité de la mer leur donne une typicité particulière, ils prennent l'appellation Manzanilla.
Preuve que cette image vin peut inverser la tendance, le marché anglais s'est stabilisé, en partie, à la suite du lancement par la bodega Gonzalez Byass d'un fino en bouteille blanche. ' Nos ventes de manzanilla sont en légère progression ', constate par ailleurs Javier Hidalgo. ' Aujourd'hui, le pire est derrière nous. Le principal problème reste le marché néerlandais qui ne consomme pas de finos et où les prix sont très bas, car il est dominé par des marques de distributeurs ', ajoute Beltran Domecq, en charge de la communication chez Pedro Domecq. Fondée par son aïeul en 1730, cette bodega est à l'origine du groupe de spiritueux Allied Domecq, qui possède 1 100 ha de vignes sur les 10 500 ha que compte l'appellation.
Ensemble, les bodegas de Xérès possèdent 40 % du vignoble. 25 % sont aux mains de deux cents gros viticulteurs qui vendent le raisin 47 c/kg. Les 35 % restants appartiennent à 2 800 petits exploitants, regroupés en sept coopératives. Celles-ci vinifient et vendent le vin aux bodegas, entre 280 et 300 euros le fût de 500 l. Des prix établis tous les quatre ans, par négociation entre les différentes parties, sous l'égide du Conseil régulateur. En raison de la mévente, ces dernières années, ils ont parfois été revus à la baisse avant la fin de cette période. Les rendements maximaux autorisés ayant dans le même temps diminués, le mécontentement est grand chez les viticulteurs, qui voient leur revenu s'effondrer. Ils dénoncent une collusion entre le Conseil régulateur et les bodegas.
Malgré ces difficultés, il n'est pas question de remettre en cause la méthode ancestrale d'élevage. Elle fait l'originalité des vins de la région. Le xérès est élaboré à partir du moût d'un premier pressurage, qui donne 70 l pour 100 kg de raisins, voire 50 l pour les finos haut de gamme. Ce pressurage est suivi d'un second dont le jus donne des VDP et des brandys.
Une fois clarifié, le vin est mis dans des fûts de chêne américain de 600 l, remplis seulement à hauteur de 500 l. Cet espace permet le développement d'un voile de levures à la surface du vin. Baptisée la flor, cette pellicule empêche son oxydation violente et lui confère son caractère unique. Un processus qui est réservé aux meilleurs xérès et donne naissance aux finos et aux manzanillas. Par contre, les moins prometteurs sont additionnés d'alcool jusqu'à titrer 18°, ce qui tue la flor. Ils s'oxydent à l'air, donnant les olorosos. Entre les deux, les amontillados sont des vins dont la flor n'est conservée qu'un certain temps.
Les vins sont enfin vieillis, selon un système qui garantit une qualité constante, la solera. A cet effet, l'on superpose des fûts de récoltes successives, au moins trois. Le vin mis en bouteilles est pris dans les fûts du bas, appelés solera, car près du sol, sans que la quantité prélevée par an n'excède un tiers du contenu total de chaque fût. Après prélèvement, la pièce reçoit le même volume de vin de celle située au-dessus, laquelle est réapprovisionnée de la même manière.
' Le nombre de récoltes composant la solera, la périodicité et l'importance des prélèvements varient selon les vins que l'on cherche à obtenir ', précise Beltran Domecq. Ce mode d'élaboration génère de gros stocks (100 000 fûts). ' Tout cela représente une énorme immobilisation de capital. Pourtant, finos ou manzanillas, de grande qualité ne coûtent que 5 euros en Andalousie, et 10 euros en Angleterre, car le manque d'entente entre les bodegas génère une guerre des prix ', déplore justement Javier Hidalgo.