Plusieurs équipes de scientifiques cherchent de nouveaux produits de protection des plantes. Elles ont bon espoir dans les éliciteurs, qui stimulent les défenses naturelles de la vigne. Mais en plein champ, ils s'avèrent moins efficaces qu'au laboratoire.
Tout comme l'être humain, les plantes possèdent des défenses naturelles. A côté de la résistance passive, constituée des barrières structurales que sont la cuticule et la paroi cellulaire, se trouvent les mécanismes de résistance active. Ceux-ci consistent en la production : ' d'antibiotiques végétaux ', les phytoalexines qui inhibent le développement du parasite ; de protéines de défense, les PR protéines qui ont une activité antimicrobienne et antifongique ; et de molécules qui renforcent les parois. Toutefois, leur activation suppose une recon- naissance de l'agresseur par l'intermédiaire de molécules appelées éliciteurs (de l'anglais to elicit signifiant provoquer). Ces derniers se lient sur des récepteurs de la plante, ce qui déclenche une cascade de signaux, conduisant à l'expression des gènes impliqués dans les diverses réactions de défense.
Si la plante est incapable de percevoir le pathogène, elle développera des symptômes de maladie. La nature chimique des éliciteurs est variée. Il peut s'agir d'un sucre (oligosaccharide), d'un lipide ou d'une protéine. L'éliciteur peut être issu du pathogène lui-même.
C'est le cas, par exemple, lorsque la plante dégrade les parois d'un champignon : on parle alors d'éliciteur exogène. L'éliciteur peut aussi être produit à partir de la plante elle-même, lors de la dégradation de ses parois par le pathogène. On parle alors d'éliciteur endogène.
Dans le cadre de recherches de stratégies de lutte alternative, plusieurs équipes planchent sur les éliciteurs. L'idée est de les appliquer sur la plante avant l'attaque des pathogènes, afin de stimuler ses défenses naturelles. C'est en quelque sorte le même principe que la vaccination.
L'université de Bordeaux 2 étudie l'acide jasmonique depuis cinq ans, et un oligossacharide issu des parois de Botrytis cinerea depuis deux ans. ' Nous avons montré que ces éliciteurs augmentaient la production de stilbènes, notamment celle du resveratrol, surtout dans les feuilles. L'étape ultime sera de montrer que la plante va effectivement résister aux attaques ', explique Jean-Michel Mérillon, responsable du laboratoire de biotechnologies et métabolites végétaux de l'université.
Au début de l'année, l'équipe a effectué un test sur boutures foliaires. Un lot a reçu de l'oligosaccharide pulvérisé sur les feuilles, un autre non. Les boutures ont ensuite été inoculées avec l'oïdium. Les boutures témoins n'ayant pas reçu l'oligosaccharide présentaient 100 % d'infection, alors que celles traitées n'en avaient que 40 %. Dans le cadre de cette manipulation, l'efficacité de l'oligosaccharide fut donc de 60 % sur l'oïdium.
Dans le cadre du Réseau vignes et vins septentrionaux (RVVS), la stimulation des défenses naturelles de la vigne fait aussi l'objet d'un vaste programme de recherches. Celles-ci portent sur l'amélioration de la compréhension des mécanismes mis en jeu, mais aussi sur une démarche appliquée visant à activer les défenses par l'emploi des éliciteurs pour lutter contre différentes maladies.
Plusieurs résultats ont été présentés lors des troisièmes rencontres de ce réseau les 1 er et 2 avril 2004, à Colmar (Haut-Rhin). L'UMR Inra-CNRS-université de Bourgogne ' Plantes-microbes-environnement ' et l'université de Reims collaborent avec la société Goëmar. Ils étudient la laminarine, une molécule dérivée d'algues. En grandes cultures, elle entre dans la composition d'un produit dénommé Iodus 40, commercialisé depuis 2002. Au laboratoire, la laminarine a donné des résultats intéressants sur suspension cellulaire. Par contre, sur boutures sous serre, les résultats sont assez irréguliers. Les chercheurs ont remarqué qu'ils dépendent de l'état physiologique de la plante. Ils ont également mis en évidence des problèmes de pénétration, phénomène qui n'apparaît pas sur le blé. Actuellement, ils testent différents mouillants, afin de voir s'ils améliorent les efficacités.
L'UMR a testé une douzaine d'autres oligosaccharides dérivés d'algues produits par Goëmar. Certains se sont révélés être de bons stimulants mais, là encore, la limite fut la pénétration. ' La stratégie de stimulation des défenses naturelles est valide. Elle doit permettre, à terme, de réduire les intrants. Toutefois, il faut laisser le temps de mettre au point la technique au vignoble ', considère Alain Pugin, de Dijon, coordinateur du projet de recherche sur les défenses naturelles du RVVS.
De son côté, Jean-Pierre Blein, de l'Inra de Dijon, étudie les élicitines, de petites protéines sécrétées par des champignons des genres Phytophthora et Pythium. Celles-ci induisent des réactions de type hypersensible chez les plantes. En association avec Sofrapar, Jean-Pierre Blein travaille à la mise au point d'un stimulateur des défenses naturelles.
Autre molécule prometteuse : l'acide bêta-amino butyrique (Baba). Ce n'est pas un éliciteur au sens strict du terme, car il ne montre un effet que lorsqu'il est mis en présence d'un pathogène. Son mode d'action est mal connu, mais il induirait un dépôt de lignine dans les cellules. Selon Jurriaan Ton et Brigitte Mauch-Mani, deux phytopathologistes de l'université de Neuchâtel (Suisse), il favoriserait la formation de bouchons au niveau des parois cellulaires, empêchant le pathogène de pénétrer à l'intérieur des cellules. Ce blindage serait dû à l'agrégation de callose, un polymère semblable à la cellulose.
Selon des essais effectués par les chercheurs du RVVS, il permet d'avoir une protection contre le mildiou de 50 à 70 % sur plante entière au laboratoire. Celui de Moët et Chandon le teste au vignoble à la dose de 1,5 kg/ha dans le cadre de la protection antimildiou, depuis deux ans. Il le compare au fosétyl d'aluminium seul, non associé à une autre molécule, produit de référence ayant une double action fongicide et élicitrice. En 2002, les résultats obtenus ont été assez encourageants pour les deux molécules. Appliqués à la cadence moyenne de dix jours, les éliciteurs ont été aussi efficaces que le traitement de référence (Antéor Avantage), tant que la pression de mildiou n'excédait pas 50 % d'intensité d'attaque. Au-delà, ils ont décroché. En 2003, ces résultats ont été vérifiés sous une pression parasitaire moyenne. En fait, les éliciteurs ont assuré une bonne protection en début de campagne, lorsque la pression parasitaire était faible. Toutefois, les chercheurs ont pu observer une phytotoxicité du Baba.
' Le Baba est une référence, mais il s'agit d'une molécule de synthèse et nous ignorons sa toxicologie ', précise Xavier Daire, de l'Inra de Dijon.
Bref, il reste encore certains problèmes à régler avant que les premiers éliciteurs n'arrivent sur le marché.