Difficile à vinifier, le millésime 2003 s'avère compliqué à conserver. La flore microbienne, abondante, est aussi variée. En cause, des sulfitages insuffisants en vinification, des pH très élevés et des fermentations mal maîtrisées.
'Le millésime 2003 n'est décidément pas facile, soupire Bernadette Delas, oenologue au centre oenologique de Grézillac (Gironde). Difficile à vinifier, il l'est maintenant à élever. ' ' De nombreux problèmes restent à venir ', s'alarme Eric Pilatte, du laboratoire d'analyses microbiologiques Microvitis, à Dijon (Côte-d'Or). Issu d'une vendange saine, le 2003 est trop souvent considéré comme ne présentant pas de risque. ' Pourtant, dans les vins que nous analysons cette année, nous trouvons une flore à la fois abondante et variée ', insiste Eric Pilatte. Dans le désordre, il mentionne les pédiocoques (filants ou non), les bactéries acétiques, les Brettanomyces, les Zygosaccharomyces... Il cite un exemple de vin en bouteilles, dans lequel il a retrouvé 3 000 unités formatrices de colonies par millilitre (UFC/ml) de bactéries lactiques et 1 600 UFC/ml de bactéries acétiques. Sachant que la référence est moins d'un germe par millilitre pour un vin en bouteilles... On imagine les difficultés de conservation d'un tel vin. Cette observation d'une flore variée et abondante se confirme dans plusieurs régions.
' Compte tenu de la richesse en micro-organismes cette année, une seule filtration sur membrane de porosité 0,65 µm n'était pas suffisante ', explique-t-il. ' En principe, à 0,65 µm, quasiment toutes les levures sont éliminées et les populations de bactéries sont fortement réduites, rappelle Pascale Ballart, oenologue chez Sartorius. Chez l'un de nos clients, il a fallu filtrer plusieurs fois des vins très contaminés pour les mettre au propre. Un autre viticulteur, en Touraine, nous a demandé des seuils de filtration plus bas, car il a observé un dépôt en bouteille, dû à des bactéries lactiques ... '
A Bordeaux, pour l'instant, Bernadette Delas ne préconise que des filtrations sur terre, mais n'exclut pas de recourir à des flash-pasteurisations si nécessaire.
En Bourgogne, Eric Pilatte a également relevé la présence fréquente de Brettanomyces dans les vins, ' même dans des blancs ! ', car les pH sont élevés. Dans l'Entre-deux- Mers aussi, ces levures de contamination sont fréquemment signalées.
Parmi les causes de cette abondance microbienne, les oenologues pointent du doigt l'abandon des souches sélectionnées. Ces dernières ont pourtant le mérite de réaliser les fermentations plus sûrement, tout en occupant le milieu, donc en freinant le développement d'autres micro- organismes indésirables. ' C'est l'année type où il fallait changer de philosophie quant au levurage, complète Hervé Alexandre, à l'institut Jules Guyot de Dijon (Côte-d'Or). Il était indispensable de levurer et d'ensemencer en bactéries lactiques, pour sélectionner la flore. '
Assurer ces fermentations diminuait les risques ultérieurs. ' Les Brettanomyces se sont surtout développées pendant des malos tardives ou celles qui ont traîné ', témoigne Bernadette Delas, du centre oenologique de Grézillac (Gironde).
Cette richesse en micro-organismes est aussi et surtout liée aux caractéristiques favorables du millésime 2003. Aux températures élevées lors des vendanges et à la richesse en sucres s'est ajouté un pH élevé, d'autant plus favorable aux micro-organismes qu'il inactive le SO 2 et gêne la clarification des vins.
' De plus, quand la vendange est saine, les viticulteurs ont tendance à moins sulfiter, regrette Nicolas Constantin, oenologue à l'Institut rhodanien, dans le Vaucluse. Si l'on fait ce choix, il faut être parfait ailleurs. Car, avec les degrés élevés de cette année, les vins contiennent plus de sucres résiduels qu'habituellement. Ce sont de petites bombes à retardement. ' Ce relâchement dans les sulfitages a été une tendance générale, malgré les multiples messages d'alarme des oenologues.
Pour éviter l'apparition de problèmes, Eric Pilatte recommande de déguster les vins au moins deux fois par mois pour détecter rapidement d'éventuelles déviations. ' Il faut suivre les vins comme le lait sur le feu ', poursuit l'oenologue bourguignon, en réalisant notamment des contrôles microbiologiques à deux moments clés : en fin de malo et avant la mise en bouteilles.
Chez Microvitis, une analyse microbiologique complète revient à 180 euros, pour le dénombrement des levures totales, des levures non Saccharomyces, des Bretta- nomyces, des bactéries lactiques et acétiques, complétée d'un examen microscopique pour dénombrer la flore totale viable et non viable. ' Ce n'est pas cher si l'on peut éviter l'apparition d'un problème ', insiste Hervé Alexandre. Pour argumenter son propos, il cite l'exemple d'un échantillon sur lequel les analyses ont révélé la présence de 35 000 UFC/ml de Brettanomyces en fin de fermentation alcoolique. Il était temps d'intervenir avant que la déviation n'apparaisse : dès 1 000 à 10 000 UFC/ml, ces levures produisent des composés malodorants.
Après une analyse microbiologique, le vinificateur peut décider, en connaissance de cause, de prolonger l'élevage, de procéder à une filtration plus ou moins serrée, voire de recourir à une flash-pasteurisation. A Bordeaux, cette démarche préventive n'a pas fait beaucoup d'adeptes, mais le millésime s'est révélé propice au développement de Brettanomyces. Des viticulteurs ont dû filtrer plus tôt que prévu.
A Eguisheim (Haut-Rhin), Gérard Cayrel, oenologue au laboratoire OEnofrance, est intervenu encore plus en amont, car il était difficile de maintenir des SO 2 libres et actifs suffisants.
' Les vins étant très combinants, on arrive à des teneurs de SO 2 total élevées pour des niveaux de SO2 libre faible et moléculaire négligeable . ' Il a donc prôné un embouteillage précoce, ' tant que les vins étaient froids, car les problèmes vont arriver maintenant que les chais se réchauffent '. Ses conseils ont été suivis d'effets.
La faible teneur en SO 2 libre est un problème récurrent. ' Je serais content si tous les vins contenaient au moins 25 mg/l de SO 2 libre ', clame Nicolas Constantin. Eric Pilatte préconise jusqu'à 30-35 mg/l sur les rouges, en Bourgogne. A Grézillac, Bernadette Delas calcule que ' pour avoir un SO 2 moléculaire de 0,50 mg/l, il faut se situer à un SO2 libre de 30 à 35 mg/l jusqu'à un pH de 3,80. Au-delà de ce pH, il faut tartriquer . ' N'étant pas habitués à acidifier, les viticulteurs alsaciens ont eux aussi été trop prudents : ' Sur gewürztraminer, malgré des SO 2 libres de 30 à 35 mg/l, on n'en retrouve quasiment pas sous forme moléculaire . ' Pour le plus grand bonheur des levures et bactéries.