Botrytis cinerea se subdivise en trois sous-populations. Leur répartition varie au cours de la saison. Les souches ' Pseudo-cinerea ' sont rares, mais résistantes au fenhexamid. Les ' Vacuma ' abondent lors de la floraison. Les ' Transposa ' se multiplient en fin de campagne et s'attaquent aux baies.
L'épidémiologie de la pourriture grise est complexe. Depuis le développement de la biologie moléculaire, les chercheurs vont de découverte en découverte. En 1995, l'Inra de Versailles a démarré une étude de la variabilité génétique des populations de Botrytis cinerea en Champagne. En 1998, il a mis en évidence l'existence de deux types de souches : les Transposa et les Vacuma. Dans le vignoble champenois, leur répartition varie au cours du temps. Les Transposa sont présentes tout au long de la saison. Les Vacuma s'observent surtout en période végétative, puis diminuent jusqu'à la récolte.
Ce n'est pas tout. Récemment, l'Inra de Versailles a découvert une espèce qu'il a appelée Pseudo-cinerea.
Quel rôle ces différentes souches jouent-elles dans l'épidémie ? Est-il le même dans tous les vignobles ? Telles sont les questions sur lesquelles les chercheurs de l'Inra de Bordeaux se sont penchés. Elles ont fait l'objet d'une thèse (1). Durant trois ans (1998, 1999 et 2000), les chercheurs ont constitué une collection de souches, prélevées dans trois sites non traités avec des antibotrytis. Il y avait deux sites à pourriture grise : une parcelle de sémillon dans les Graves et une parcelle de merlot dans le Médoc. Le troisième site était à pourriture noble, dans une parcelle de sémillon située dans le Sauternais.
Les chercheurs ont fait des prélèvements sur divers organes : feuilles, capuchons floraux, baies, sarments, aux stades clés du cycle biologique du champignon. ' Les Champenois ont montré une évolution temporelle des souches, mais ils n'ont pas fait la distinction entre les organes. En juin, ils avaient surtout prélevé du botrytis sur feuilles et en septembre sur baies. Or, notre idée était que peut-être les souches sont dépendantes d'organes, les Vacuma étant plus sur les feuilles et les Transposa davantage sur les baies ', explique Marc Fermaud, de l'Inra de Bordeaux.
Dans un premier temps, les chercheurs se sont aperçus que les souches Pseudo-cinerea sont rares, puisqu'elles ne représentent que 3 % de la population totale. Ils les ont détectées uniquement sur les capuchons floraux vieillissants et les feuilles. ' C'est une population à risque, car elle est résistante au fenhexamid, mais elle est minoritaire ', constate Marc Fermaud. En raison de sa rareté, ils se sont focalisés sur des souches Vacuma et Transposa. Ils ont constaté que les Transposa sont majoritaires et ce, quel que soit l'organe considéré. Au moment de la floraison, les souches Vacuma et Transposa sont également abondantes, ensuite les Vacuma diminuent.
Tous ces résultats confirment ceux des Champenois. Ce qui est remarquable, c'est que les chercheurs ont observé les mêmes tendances sur les trois parcelles, trois années de suite. Cela leur laisse penser que la pourriture grise et la pourriture noble sont dues majoritairement à la même population de botrytis : les Transposa.
Autre déduction : on ne peut pas faire de lien entre la pression de la maladie et la proportion relative des deux populations. Par ailleurs, toutes ces observations expliquent l'absence de relations entre les phases épidémiques précoces et tardives, puisqu'elles ne sont pas dues aux mêmes agents.
Pour aller plus loin, l'Inra de Bordeaux a étudié le comportement des différentes souches. Il a mis en évidence que les Vacuma ont une plus grande aptitude au saprophytisme, c'est-à-dire qu'elles se développent mieux sur les organes morts ou vieillissants. Ceci explique pourquoi elles sont plus importantes à la floraison : elles colonisent plus rapidement les capuchons floraux vieillissants.
Les chercheurs de l'Inra ont ensuite fait des tests de pouvoir pathogène. Ils ont vu que les Transposa ont une aptitude supérieure à coloniser les baies. Ils ont observé la même tendance sur les feuilles, même si le test n'a pas été significatif. Conclusion : les Transposa sont les plus pathogènes.
Pour terminer, les chercheurs ont réalisé des tests de sensibilité à différents fongicides sur les souches Vacuma et Transposa. Ils ont testé trois matières actives : la carbendazime, le diéthofencarbe (Sumico L, Jonk) et la vinchlozoline (Ronilan DF). Les résultats mettent en évidence une fréquence de résistance plus élevée des souches Transposa pour les trois fongicides. Cette différence de sensibilité pourrait expliquer la chute des Vacuma après la floraison, car ces souches seraient plus affectées par le premier traitement. Ou alors, la plus forte exposition des Transposa aux fongicides favoriserait la sélection des souches résistantes, pensent les chercheurs.
De son côté, l'ITV de Nantes étudie aussi la variabilité génétique du botrytis dans le Val de Loire. Il a vu des variations de population, mais il n'a pas pu en tirer de règles.
Toutefois, selon l'Inra de Bordeaux, il est difficile de faire le lien entre ses travaux et ceux de l'ITV, car ce dernier n'a pas utilisé la même nomenclature pour définir les sous-populations.
Il n'empêche que toutes ces recherches intéressent les firmes. Désormais, elles vont devoir prendre en compte ces sous-populations pour évaluer l'efficacité des antibotrytis.
Etude de la structure génétique et des aptitudes biologiques des populations de Botrytis cinerea dans le vignoble bordelais.