Au début du XIX siècle, la Compagnie des salins du Midi exploite le plus vaste vignoble, implanté dans les sables d'Aigues-Mortes. Elle y produit des vins paillets et des blancs, avec lesquels elle engrange de confortables bénéfices.
Dans la petite Camargue, après 1880, quand commence la reconstitution postphylloxérique, la vigne prend une réelle importance. En effet, on a constaté que les vignobles plantés dans les sables demeuraient, en principe, exempts des attaques du puceron ravageur. Les terrains à vigne comprennent alors les anciens cordons littoraux, le cordon littoral actuel, les levées des anciens bras du Rhône, d'anciens marais salants desséchés et dessalés. En quelques années, leur valeur vénale est passée de 200 à 5 000 F/ha.
Déjà, vers 1840, la Compagnie du canal de Beaucaire possède le domaine de Deladel, d'une superficie de 80 ha. Aux environs d'Aigues-Mortes, héritière des salins de Peccais, la Compagnie des salins du Midi (CSM), cinquante ans plus tard, exploite deux immenses domaines : Jarras (180 ha) et Le Bousquet (160 ha) produisant, en année moyenne, 50 000 hl de vin.
La CSM a fait elle-même ses plantations en longs alignements, établies sur un sol bien nivelé, aux surfaces légèrement relevées, pour que l'eau saumâtre ne nuise pas au développement des racines. Ce vignoble des sables se caractérise par l'absence de greffage, mais il nécessite des fumures abondantes. La mobilité du sol oblige à la pratique de l'enjoncage. Pour que le sol ne soit pas emporté par le vent, on étale 500 kg de roseaux séchés, tirés des marais. Après les labours de printemps, on pratique un enjoncage général, à raison de 2 000 kg/ha. De plus, ces roseaux apportent de la matière organique, complétée par du tourteau de sésame sulfuré.
Dans ce pays de marais salants, les transports se font de préférence par eau, car le sol inconsistant n'est pas propre au roulage. Cependant, à Jarras où les canaux ont disparu, le transport est assuré par un petit chemin de fer Decauville. Jarras possède deux immenses caves, construites en 1884, qui renferment 108 foudres de 280 hl. Pour s'éloigner de la production de cette région, qui est le vin rouge d'aramon, on a d'abord privilégié le picpoul gris, qui réussit bien dans les sables. Mais sa faible productivité (pour l'époque 80 hl/ha) a limité son extension, malgré le prix élevé du vin (25 F/hl). Dans les années 1900, on lui préfère l'aramon (140 hl/ha), avec lequel des vins paillets sont élaborés. Ils sont vendus à Nancy sous le nom de vins gris de Lorraine, achetés 17 F/hl. En revanche, le petit bouschet, qui dépérit au bout de vingt ans, est délaissé.
Les aramons passent au fouloir mécanique et les moûts sont écoulés dans des chambres d'égouttage, où ils séjournent six à huit heures. Les marcs sont comprimés pendant deux heures sous des presses hydrauliques ; le jus de presse est mêlé au jus de goutte pour être vinifié. Refoulés dans une muteuse, les vins sont soumis à l'action du soufre pour obtenir la décoloration voulue avant l'entonnage. Après le premier pressurage, un second pressurage fournit un autre moût, vinifié en vins appellés vins de maniement, vendus à bas prix, ou distillés sur place en même temps que les piquettes. L'hectolitre d'eau-de-vie à 86° se vend 50 F environ.
Dans le domaine du Bousquet, où les plantations sont moins vieilles qu'à Jarras, l'aramon domine. On a aussi planté du cinsaut et du carignan. Les vins, moins alcooliques qu'à Jarras, sont acheminés vers les villes par le canal du Midi.
Avec une production moyenne de 150 hl/ha, la CSM, en ce début de XX e siècle, engrange de confortables bénéfices, qui complètent ceux que la Compagnie tire de la récolte du sel.