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La qualification, une nouvelle dose de formalités

La vigne - n°156 - juillet 2004 - page 0

Les premières exploitations viticoles qualifiées en agriculture raisonnée ont dû introduire un peu plus de formalisme dans leur façon de travailler. Elles ne comptent pas utiliser la mention autorisée, qu'elles jugent un peu longue.

Le gouvernement a fixé l'objectif de 30 % d'exploitations agricoles qualifiées en agriculture raisonnée d'ici à 2008. Il a donné le coup d'envoi des qualifications en agréant des organismes certificateurs, par arrêté ministériel le 18 mars 2004. Les premiers dossiers ont été examinés dans la foulée. Dans le même temps, paraissait le décret encadrant l'utilisation du qualificatif ' agriculture raisonnée '. Les exploitations qualifiées peuvent désormais le faire savoir dans leur communication et sur leurs étiquettes, par la mention ' issu d'une exploitation (ou d'exploitations) qualifiée(s) au titre de l'agriculture raisonnée '.
Dans le Vaucluse, deux exploitations du réseau Farre (Forum de l'agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement) font partie des premiers reçus. ' En tant que membres de Farre, nous nous devions de nous faire qualifier ', témoigne Annie Isnard, de la bastide Sempeyre, à Mazan (Vaucluse). Cette exploitation viticole et arboricole s'étend sur 25 ha, dont 14 ha en raisins de cuve, en totalité livrés à la cave coopérative Canteperdrix de Mazan. L'audit de qualification a été mené en novembre 2003 chez Annie et Marc Isnard. Dès que leur auditeur a été accrédité comme organisme certificateur, il a transmis leur dossier à la Commission nationale de l'agriculture raisonnée (CNAR). Puis la bastide Sempeyre a reçu sa qualification, valable cinq ans. Elle devra subir un contrôle avant cette échéance.

' Nous sommes rentrés dans le réseau Farre en 1998, pour pratiquer une agriculture respectueuse de l'environnement , poursuit la jeune femme. Grâce à la qualification, nous pouvons faire la preuve de nos bonnes pratiques agricoles. ' Cette démarche demande surtout plus de formalisme. Auparavant, il suffisait d'enregistrer les interventions faites. Maintenant, ' chaque décision doit pouvoir être justifiée, et pas seulement notée '. Annie et Marc Isnard doivent conserver les éléments, comme les avertissements agricoles et les observations qui les ont conduits à décider d'un traitement, du produit, de sa dose, afin de démontrer qu'ils ont raisonné leur intervention.
Dans le Languedoc, les premières qualifications ont eu lieu le 1 er avril. Elles ont été accordées à sept vignerons adhérents du groupement de producteurs du Val d'Orbieu qui suivent un référentiel interne d'assurance qualité et d'agriculture raisonnée, appelé Buvica (bons usages de la vigne à la cave). ' Nous nous sommes aperçus que nous répondions, à peu de choses près, aux exigences de la qualification officielle ', témoigne Jean-Dominique Fourment, conseiller viticole pour le groupe Val d'Orbieu. Il suffisait donc de la demander. Les sept exploitations l'ont obtenue facilement.
Chez Martine et Claude Derroja, à la Caunette (Hérault), la qualification n'a pas bouleversé les méthodes de travail. ' Depuis 1963, mon père, Pierre, tient des éphémérides, sur lesquels il note ses interventions, la climatologie ...', témoigne Claude Derroja. Des enregistrements existaient donc déjà. Les travaux aussi étaient déjà bien raisonnés. Au début de la saison 2001, Martine et Claude Derroja se sont engagés dans la démarche Buvica, qui a renforcé et fiabilisé l'existant. ' De moi-même, je n'aurais peut-être pas pris la relève de mon père pour tout enregistrer ', admet Claude Derroja. Sa soeur Martine s'est chargée d'informatiser les enregistrements, pour faciliter la traçabilité. L'obtention de la qualification n'a pas demandé plus d'efforts.
Véronique Etienne, viticultrice au château La Dournie, à Saint-Chinian (Hérault), travaille avec un groupe de lutte raisonnée depuis cinq ou six ans, par philosophie. Elle voulait raisonner ses interventions, mais n'en gardait pas toujours la trace. D'ailleurs, elle ne souhaitait pas entrer dans une charte. ' Je m'y suis mise pour accéder au haut de gamme du Val d'Orbieu. ' L'engagement dans Buvica est en effet obligatoire pour fournir les vins qui entrent dans la cuvée Mythique notamment. Chez elle aussi, la qualification en agriculture raisonnée a surtout demandé un travail de formalisation. ' La qualification augmente beaucoup la partie administrative de notre travail. ' Pour faciliter le suivi des enregistrements, elle a créé ses propres fiches d'enregistrement sur Excel, car elle n'est pas satisfaite des logiciels de traçabilité existants.

Frédéric Schwertz s'est installé, il y a deux ans, au domaine des Maels, à Argens-Minervois (Aude). ' Dès le départ, j'ai travaillé avec le Val d'Orbieu et je me suis engagé dans le référentiel Buvica. ' Il vend 300 hl au groupement de producteurs. Il lui a fallu deux ans pour être prêt pour l'audit de conformité à Buvica et de qualification en agriculture raisonnée. L'objectif était double. ' D'une part, cela nous a permis d'accéder à la cuvée Mythique. D'autre part, l'agriculture raisonnée est un argument de vente auprès de mes clients. ' En effet, Frédéric Schwertz commercialise 15 000 cols par lui-même. Pour lui, expliquer son travail fait partie intégrante de la vente directe. ' Notre message, c'est que le vin n'est pas seulement une boisson. Chez nous, c'est aussi le respect de la nature. Par ailleurs, l'agriculture raisonnée me permet de justifier un prix plus élevé. Je vends mon haut de gamme à 10 euros, alors que notre région souffre d'un déficit d'image. Je ne pourrais pas vendre à ce prix-là sans expliquer mes pratiques à mes clients. '
Pour l'instant, il ne pense pas utiliser sur ses étiquettes la mention autorisée. ' Elle est trop longue, déplore-t-il. Elle ne peut pas non plus être utilisée sur une façade de caveau. Ce qu'il faudrait, c'est une signalétique, un logo. '
Même constat au château La Dournie, où Véronique Etienne n'envisage pas de mentionner sa qualification sur les bouteilles qu'elle vend en direct. ' J'y viendrai peut-être lors de prochaines mises, si cette idée est encore dans l'air . ' L'argument de la qualification ne lui permet pas de vendre plus cher. ' A la longue, faire savoir que l'on est qualifié permet peut-être de fidéliser le client. ' Pour l'instant, cette viticultrice se contente d'informer ses acheteurs de sa façon de travailler, ce qui lui est possible, car elle vend sur des circuits courts, en contact direct ou presque avec le client final.

Pour l'instant, le Val d'Orbieu n'envisage pas non plus d'étiqueter ses produits issus d'exploitations qualifiées. ' Les commerciaux utilisent cet argument vis-à-vis des distributeurs, d'autant que l'agriculture raisonnée est parfois une condition d'accès à un marché, explique la directrice du groupement, Marie-Angèle Ndeby. Mais il ne faut pas rajouter trop d'informations sur la bouteille, alors que les consommateurs ne passent que peu de temps dans les rayons et qu'ils sont déjà perdus. Ce sera peut-être le moyen de fidéliser ceux qui ont le temps de lire l'étiquette, par exemple au restaurant. Mais il faut se méfier des effets pervers de l'étiquetage. Le consommateur risque de se demander si, finalement, la viticulture n'est pas moins 'propre' que ce qu'il croyait. ' Avec la qualification, le Val d'Orbieu se donne les moyens d'une communication défensive en cas de problème. ' Si la viticulture locale est mise en cause pour ses pratiques, comme cela a été récemment le cas dans le Beaujolais, nous pourrons prouver que nous respectons l'environnement ', appuie Jean-Dominique Fourment.

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