Les vins rosés se définissent par leur couleur, mais celle-ci reste difficile à prévoir. Les connaissances s'affinent et les décisions techniques deviennent moins empiriques
'La vision est l'un de nos sens les plus performants. C'est pourquoi le consommateur et le producteur se focalisent sur ce critère pour le rosé, plutôt que sur les arômes ', explique Gilles Masson, du Centre de recherche et d'expérimentation sur le vin rosé à Vidauban, dans le Var. Aux dégustations d'agrément, la couleur n'est pas notée en tant que telle, mais peut ' donner des à priori négatifs ', selon plusieurs viticulteurs.
Pourtant, c'est un paramètre difficile à maîtriser. ' La perte d'anthocyanes entre le moût débourbé et le vin fini est toujours d'environ 50 %, affirme Laure Cayla, de l'ITV de Vidauban. Nous l'avons vérifié dans l'ensemble du groupe national d'étude des vins rosés, qui couvre le Val de Loire, le Bordelais, la Provence, la vallée du Rhône, la Corse et le Roussillon. En revanche, la perte de couleur est partout très variable, de 60 à 90 %, sans que cela soit vraiment prévisible. ' On perd donc plus de couleur que d'anthocyanes, alors que ce sont les pigments qui colorent le vin. Mais elles ne sont pas toutes sous forme colorée dans le vin. De plus, la couleur du vin n'est pas bien corrélée à celle du moût, puisque les pertes sont très variables.
Pour mieux connaître le potentiel de la vendange, l'ITV de Vidauban et le centre du rosé ont développé des méthodes d'évaluation du potentiel polyphénolique sur raisin, en cours de transfert auprès de laboratoires de terrain. L'Institut coopératif du vin (ICV) en utilise une sur son réseau de parcelles de références. L'objectif est à la fois de mieux connaître les terroirs et de faciliter la prise de décision des viticulteurs en ce qui concerne la date de récolte et les opérations préfermentaires.
La couleur dépend en effet beaucoup du terroir, comme le montrent les études menées par le centre du rosé. En Provence, l'intensité colorante d'un rosé de grenache peut varier de 1 à 5 selon son origine, celle d'un cinsaut de 1 à 3. Le terroir joue sur la quantité d'anthocyanes et le pH.
Le millésime et la maturité jouent surtout sur l'extractibilité des anthocyanes.
Chaque année, l'ICV de Brignoles (Var) caractérise le millésime sur ce paramètre, d'après ses observations sur des parcelles de référence. Xavier Ranc, oenologue de la cave coopérative La Roque, à la Cadière-d'Azur (Var), réalise le même travail sur un réseau de parcelles de sa cave. ' Quand les raisins arrivent à la cave, je connais exactement leur comportement, et je prévois les macérations ou le pressurage direct en fonction de ces données ', expose l'oenologue. La cave a établi avec l'ICV des courbes types de la perte de couleur entre le moût frais, le moût débourbé et la fin de fermentation.
' Aujourd'hui, nous ne craignons plus de laisser macérer les raisins plus longtemps, pour augmenter le potentiel aromatique de nos rosés, car beaucoup d'anthocyanes précipitent pendant la fermentation, du fait que nous extrayons peu de tanins, nécessaires à leur stabilisation. Nous ajustons la durée de macération en fonction des données obtenues au vignoble, en général entre 8 et 16 heures à 12°C. ' Poussant le raisonnement plus loin, la cave a intégré à ses pressoirs des mesures de conductimétrie et de chromamétrie en temps réel, pour la séparation des jus. ' Grâce à ces méthodes, nous arrivons assez régulièrement à atteindre l'objectif de rose pâle que demande le marché actuellement . ' Au-delà des techniques préfermentaires, on connaît encore mal l'impact de la vinification et de l'élevage sur la couleur. La souche de levure peut avoir une influence non négligeable, en fonction de l'affinité de ses parois avec les anthocyanes et de leur éventuelle activité bêta-glucosidasique. Cette dernière transforme les anthocyanes en leur forme aglycone, instable. La malo, sans intérêt au niveau aromatique, est également néfaste à la couleur, car le pH augmente et oriente la teinte vers le jaune. De plus, l'absence de protection par le SO 2 entre la fin de fermentation et la malo favorise l'oxydation du vin.