A des concentrations faibles, les phénols volatils n'augmentent pas la complexité d'un vin. Ils se substituent aux arômes fruités. Rares sont les dégustateurs qui apprécient.
Sueur de cheval, goût d'écurie, d'encre ou de gouache, les défauts dus aux teneurs très élevées en phénols volatils dans les vins rouges sont bien connus. Mais à faible dose, ces substances produites par les Brettanomyces sont-elles agréables ? Enrichissent-elles le vin ? Ceux qui le pensent semblent de moins en moins nombreux. Ils estiment que de petites quantités de phénols volatils apportent des arômes de cuir ou fumés qui s'ajoutent au bouquet du vin. Selon eux, ces notes augmentent la complexité. Mais un nombre croissant d'oenologues et de spécialistes de la dégustation sont d'avis contraire. Ils préviennent que les éthyls-phénols sont perçus négativement, car ils affectent le fruité, caractère le plus recherché actuellement. Pour eux, ces substances n'enrichissent pas le vin. Les discrètes notes phénolées ne s'ajoutent pas aux arômes variétaux ou fermentaires. Bien au contraire : elles se substituent à eux ! En somme, ce serait soit le fruité, soit les notes animales ou de cuir, mais pas les deux.
Une étude menée à l'ITV de Beaune conforte cette idée. Pour mesurer l'incidence des phénols volatils, Vincent Gerbaux en a ajouté des doses croissantes à plusieurs vins. Pour des concentrations finales supérieures à 500 mg/l, les notes de fruits rouges et florales diminuent par rapport aux témoins, tout comme la qualité globale. Parallèlement, les odeurs fumées et de cuir augmentent. ' Ces modifications sensorielles ne dépendent pas du cépage, ni de la technique de vinification ', précise Vincent Gerbaux. Elles aplanissent les différences entre les vins. Les dégustateurs ne les ont pas appréciées. ' Lorsque l'on compare un vin sain à un vin contenant des phénols volatils, le premier est toujours préféré. Entre 200 et 400 mg/l, les éthyls-phénols sont difficiles à détecter à la dégustation. En revanche, au-delà de 500 mg/l, le profil est modifié. '
' A des concentrations basses, les éthyls-phénols ne sont pas sentis en tant que tels, mais ils masquent le caractère fruité du vin, ce qui est toujours regrettable ', estime Pascal Chatonnet. A la tête du laboratoire Excell (Gironde), il est l'un des premiers à avoir proposé aux vignerons de doser régulièrement ces substances dans les vins pour repérer toute déviation. ' Avant même de percevoir des goûts phénolés marqués, on perd l'originalité aromatique du vin. '
A la dégustation, il est donc difficile d'identifier, dès le départ, une progression de la concentration en phénols volatils. Difficile mais pas impossible, à en croire Jean-François Gillis, de la société OEnodev. Il estime que quelques signes ne trompent pas. ' Le changement se fait toujours de la même façon. Au nez d'abord, on remarque une baisse du fruit et une montée de la note épicée. Le vin se ferme. Puis il devient animal et la bouche sèche. Il faut se méfier d'un vin ouvert qui se ferme vite. ' D'autres oenologues parlent d'une apparition d'amertume, d'un amaigrissement ou du renforcement de la dureté du vin. Quoi qu'il en soit, ces indices qui affecteraient beaucoup de vins, sont peu spécifiques. Ils traduisent des déviations qui pourraient être provoquées par d'autres germes que les Brettanomyces. L'analyse chimique est la seule façon d'en déterminer l'origine avec certitude. Il n'est pas surprenant qu'au départ, une pollution soit difficile à identifier. La perception d'une substance est très liée à sa concentration. D'abord, on ressent une modification. Ensuite seulement, on reconnaît clairement la substance.
La définition du seuil de perception prend en compte ce mécanisme. C'est ' la concentration minimale, à partir de laquelle (...) 50 % des dégustateurs reconnaissent la présence d'une substance odorante, sans pour autant être forcément capable d'identifier l'odeur ', indique le traité d'oenologie (éditions Dunod -La Vigne). Dans le cas des phénols volatils, ce seuil, établi par la faculté d'oenologie de Bordeaux, est de 470 µg/l.
Lors de ses essais, Vincent Gerbaux a ajouté 500, 1 000, puis 2 000 µg/l à des vins de pinot noir, gamay, cabernet franc, merlot et cabernet-sauvignon. Les trois premiers renfermaient initialement moins de 3 µg/l de phénols volatils, le merlot 38 µg/l et le cabernet-sauvignon 106 µg/l. Après ajout de la plus faible dose, seul le vin de cabernet-sauvignon obtient une meilleure note globale. Les quatre autres sont tous moins bien notés. L'essai comportait aussi un vin de tannat déjà passablement pollué, puisqu'il renfermait initialement 396 µg/l d'éthyls-phénols. Ce vin est aussi moins bien noté après ajout de 500 µg/l. Ces résultats confortent l'idée selon laquelle les éthyls-phénols déprécient les vins dès qu'ils sont perceptibles.
Mais ils montrent également que cette règle générale n'est pas absolue. Certains dégustateurs apprécient les notes de cuir. Mais la majorité préfère les arômes fruités. Alors comme il est impossible d'avoir les deux, mieux vaut se méfier des méfaits discrets des Brettanomyces.