Des vinificateurs expérimentés et réputés s'aventurent hors des sentiers battus. Nouveaux cépages, vins d'assemblage, nouveaux terroirs... Tout est bon pour se démarquer et créer son style, en s'inspirant des régions méditerranéennes.
Une production en augmentation de 40 % pour un revenu en progression de 140 % : ces deux chiffres résument la vitalité de l'industrie du vin sud-africaine depuis la fin de l'apartheid. Huitième producteur mondial derrière l'Australie, avec 7 millions d'hectolitres en 2002, l'Afrique du Sud a su s'adapter à la demande du marché mondial. Planté à 85 % en blanc en 1990, le vignoble s'est rééquilibré avec 39 % de rouge pour 61 % de blanc, avec une forte augmentation des cépages les plus connus commercialement : cabernet-sauvignon, syrah, merlot et sauvignon en rouge, et chardonnay en blanc.
Les investissements réalisés dans les wineries illustrent aussi cette volonté de conquête de nouveaux marchés. De splendides bâtisses à l'architecture soignée abritent une cuverie en Inox, des équipements de pointe et de majestueux chais à barriques. Vitrines de la viticulture sud-africaine, ces caves sont bien indiquées sur tous les documents touristiques. Elles accueillent un public important qui, pour 2 à 3 euros, peut déguster. Libre à lui ensuite d'acheter la production locale.
Le style sud-africain n'est pourtant pas totalement établi. La concurrence étant sévère sur le marché mondial, certains s'aventurent sur des sentiers moins encombrés. Fairview est l'un des pionniers de cette nouvelle tendance.
En 1997-1998, ce domaine de la région de Paarl fut le premier à planter des cépages rhodaniens et languedociens : mourvèdre, grenache, carignan, viognier. Ils étaient inconnus dans ce récent pays viticole. Objectif avoué : reproduire les assemblages qui ont fait la réussite des Côtes du Rhône. Les cuvées, astucieusement baptisées ' Goats do Roam ' ou ' Goat Roti ', l'affichent clairement. Le succès ne s'est pas fait attendre. Cette gamme est vite devenue l'une des meilleures ventes du domaine.
Mark Kent fait partie de la nouvelle génération de winemakers sud-africains. Après avoir beaucoup bourlingué, notamment dans le sud de la France et en Espagne, il s'est lancé en 1996. Il s'est assuré le soutien d'un pool d'investisseurs. Il avait alors une idée précise des vins qu'il voulait élaborer. ' Les consommateurs sont lassés des cabernets-sauvignons ou des syrahs élevés en barriques qui se ressemblent. '
Ses modèles à lui : les vins du Languedoc, ceux du Roussillon, et le priorato en Espagne. ' Les vieilles vignes de grenache du Roussillon produisent des vins incroyables . ' D'ailleurs, c'est avec ce cépage qu'il est en train de se faire un nom : sa cuvée ' The Chocolate Block ' est une dominante de grenache, assemblé avec de la syrah, du cinsaut, du viognier et du cabernet-sauvignon. Là encore, c'est un assemblage peu commun en Afrique du Sud. A la dégustation, il s'apparente à s'y méprendre à un vin des Côtes du Rhône ou à un vin du Roussillon.
Sa winery de Boekenhoutskloof, dans la vallée de Franschhoek, illustre son tempérament exigeant : pressoir vertical dernier cri, pompes péristaltiques et table de tri. Des efforts récompensés par la meilleure note donnée par Parker à un vin sud-africain.
Agulhas Wines est un autre exemple de cette recherche de nouveaux styles. ' Personne n'avait pensé qu'on pourrait planter de la vigne là-bas ', reconnaît André Morgenthal, responsable de la communication de Wines of South Africa (Wosa), l'organisme chargé de la promotion. Personne, sauf Willen Loots, un vinificateur expérimenté ayant acquis une solide réputation dans différentes wineries sud-africaines. Il s'est décidé à la fin de l'année 2001.
Willen Loots a abandonné Stellenbosch, l'un des hauts lieux de la viticulture sud-africaine, pour s'aventurer en territoire inconnu, à Cap Agulhas. C'est la région la plus au sud du pays. Sur la ligne de partage entre les océans Atlantique et Indien, elle est en permanence balayée par les vents marins, peuplée de springboks et d'oiseaux, à peine dérangés par des élevages extensifs...
' Pour lancer aujourd'hui une winery en Afrique du Sud, il faut proposer autre chose. Ici, c'est sûr, nous ferons des vins uniques. '
Le projet paraît fou. Mais il a été savamment étudié et préparé, ne serait-ce que pour convaincre quinze hommes d'affaires de Johannesburg d'investir dans l'aventure. Des analyses de sol ont été réalisés sur le domaine pour déterminer les terroirs les plus appropriés aux cépages retenus : sauvignon, chardonnay, sémillon, viognier, syrah et pinot noir. Actuellement, 25 ha sont plantés, mais le domaine en comptera, à terme, 45 ha.
' Je suis convaincu que ce terroir peut donner de très bons vins , assène Willen Loots. Il y a une grande diversité de sols, de l'eau en abondance et un climat frais avec, en moyenne, 2°C de moins que dans les autres régions viticoles pendant la période de maturation des raisins. '
Sur les 800 ha de la propriété, onze sources d'eau fraîche jaillissent, se déversant dans de vastes réservoirs aménagés pour l'irrigation au goutte-à-goutte. La cave est elle aussi directement alimentée en eau par ces résurgences.
Certes, ces initiatives restent anecdotiques, ramenées à l'ensemble de la production sud-africaine. Pour preuve, les surfaces plantées en mourvèdre ou grenache n'apparaissent même pas dans les statistiques de la Wosa, le cabernet-sauvignon restant de loin le cépage le plus planté en 2002, avec 1 000 ha de nouvelles vignes. Et les prévisions pour 2004-2008 le donnent toujours en tête, suivi de près par la syrah. Les différentes tentatives pour créer de nouveaux styles témoignent d'une volonté de conquérir des marchés de niche.