Les Côtes du Rhône ont inventé les mentions ' sélection fruitée ' et ' sélection corsée ', après avoir recueilli l'avis de consommateurs. Chinon étudie une segmentation similaire. De leur côté, Bourgueil et Madiran comptent modifier leurs vinifications.
Les goûts et les couleurs évoluent. Il faut en tenir compte. Les industriels de l'agroalimentaire l'ont bien compris : l'enquête consommateurs est incontournable. Dans la filière viticole, la démarche est moins évidente. Mais face à la baisse des ventes, des appellations n'ont pas hésité à sauter le pas.
Fin 2002, Inter-Rhône a fait le tour des grandes et moyennes surfaces de la région d'Avignon et a acheté tous les côtes-du-rhône régionaux situés dans une gamme de prix de 2 à 6 euros la bouteille. L'interprofession a ainsi réuni une vingtaine de produits qu'elle a soumis à un panel d'une trentaine de consommateurs novices et avertis. Ces derniers ont classé spontanément 80 % des vins selon deux profils gustatifs : les vins puissants et forts et ceux plus faciles à boire. ' Lorsque nous avons vu cette segmentation, nous avons travaillé à une terminologie permettant de qualifier au mieux les produits ' , explique Olivier Legrand, du service marketing France d'Inter-Rhône.
' En janvier 2003, nous avons demandé à BVA de tester diverses mentions : collection fruitée/collection corsée, sélection fruitée/sélection corsée, arôme subtil/arôme puissant... ', complète-t-il. La majorité des 499 personnes interrogées ont préféré les termes sélection fruitée/sélection corsée. ' Fruité et corsé parlent directement aux gens. La notion de sélection donne une image du travail sur le vin, d'un effort dans le choix du produit ', analyse Olivier Legrand. 79 % des consommateurs, dont 85 % de femmes ont jugé le concept intéressant. Les autres s'estimaient assez connaisseurs pour se passer de cette mention. Les femmes ont affirmé qu'il les aide à choisir, leur donne des informations sur les accords mets et vins et sur la saveur et le type du produit. Les consommateurs ont apprécié les deux profils, 88 % ont l'intention de les acheter. Ces vins ont été lancés cette année chez Casino, Match et Nicolas. Ils ont eu des taux de rotation supérieurs aux références moyennes.
Le Syndicat des vins de Chinon, appuyé par le laboratoire Grappe, de l'Ecole supérieure d'agriculture (Esa) d'Angers, a mis en place la même démarche. 208 consommateurs ont dégusté 7 vins de Chinon et leur ont donné une note de 1 à 10. Ensuite, 15 experts ont décrypté les vins. ' Les vignerons savaient qu'il existait deux profils de Chinon - l'un correspond à des vins complexes, aromatiques et colorés, l'autre à des vins légers et fruités - mais ils ont été surpris de voir que les consommateurs identifiaient ces deux types ', note Catherine Thibault de l'Esa, et qu'ils sont aussi nombreux à apprécier l'un ou l'autre. Par contre, chaque consommateur privilégie un profil, et rejette l'autre. ' Il faut lui clarifier, lui préciser et lui simplifier les choses ', insiste Jean-Max Manceau, président du syndicat. Actuellement, l'appellation travaille à l'établissement d'un vocabulaire spécifique.
A Bourgueil, l'exercice était un peu différent. ' L'objectif était de se rendre compte du décalage entre le goût des vignerons et celui des consommateurs. Ces derniers privilégient désormais la rondeur, le gras, le sucré. Or, souvent, les connaisseurs ont les mêmes goûts que les vignerons et préfèrent les vins typés et racés . '
Le 29 juin, 25 vignerons ont dégusté leurs vins avec une quinzaine de consommateurs. CQFDgustation animait la réunion. ' Cette dégustation a confirmé les sensations que l'on avait commercialement. Notre objectif est de nous rapprocher du goût des consommateurs, mais sans changer notre âme. Il faut garder la même base de l'appellation et modifier les méthodes d'élaboration ', estime Philippe Boucard, président du Syndicat de Bourgueil.
Le Syndicat de défense des vins de Madiran a travaillé dans la même optique avec un jury d'experts. Ils ont analysé les vins qui marchaient bien en grande distribution. Leurs caractéristiques : des vins fruités, aromatiques, légèrement boisés. Fort de ce constat, un groupe de vignerons a testé différentes vinifications en 2003 (cuvaisons plus courtes, assemblages...) afin de développer le fruité. Cet été, des consommateurs ont dégusté quatre types de madiran en puissance, dont ceux obtenus lors des tests : un madiran classique, un madiran plus structuré mais avec du fruit, un madiran avec des tanins un peu verts et un madiran hyper concentré. ' Les consommateurs ont préféré le deuxième, mais l'écart n'était pas énorme entre le deuxième et le troisième. Nous allons donc développer le côté fruit dans la jeunesse du madiran, car sinon lorsqu'il est jeune, il a tendance à être fermé ', considère Cécile Neihouser. Reste à trouver la bonne technique.
PLUS
Les enquêtes consommateurs suivent l'évolution des goûts et des attentes.
MOINS
Elles coûtent cher. Le Syndicat de Chinon a investi 7 500 euros et Inter-Rhône autour de 15 000 euros pour l'enquête BVA.