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L'abandon du soutirage préserve le fruité

La vigne - n°160 - décembre 2004 - page 0

Après les Bourguignons, les Bordelais réduisent à leur tour le nombre de soutirages des vins élevés en fût. Ils veulent préserver le fruité et limiter les pertes de SO.

'Le soutirage pendant l'élevage est une pratique très bordelaise ', entend-on dans le Midi ou en Bourgogne. Dans ces régions, on manipule le moins possible le vin, ' pour éviter de perdre le SO 2 et le caractère fruité ', explique Eric Grandjean, du Centre oenologique de Bourgogne. Le soutirage des barriques en cours d'élevage y est rare. Souvent, on n'en pratique qu'un seul.
' Nous réduisons les manipulations, afin de moins abîmer le vin, de moins perdre de fruit et de moins rajouter de SO 2 ', explique Christine Gruère, au domaine Dubreuil-Fontaine, à Pernand-Vergelesses (Côte-d'Or). La tendance est au ' moins de... '. Le millésime 2003 du domaine Dubreuil-Fontaine n'a pas été soutiré du tout pendant plus d'un an.
' Les vignerons soutirent de moins en moins leurs vins, car les structures tanniques actuelles ne nécessitent plus forcément autant d'oxygène , explique Matthieu Dubernet au laboratoire du même nom, à Narbonne, dans l'Aude. Il faut des vins propres avant élevage. Ensuite, l'évolution des tanins se produit normalement, mais on conserve de la fraîcheur et du fruit. '
Pour ces raisons, Patrick Reverdy, du château La Voulte-Gasparets, dans les Corbières, élève ses vins un an en cuve avant de les entonner. Une fois en fûts, il les déguste régulièrement pour vérifier qu'il n'y a pas de problème. Il ouille les barriques neuves, garde les autres bondes de côté. Il réajuste les niveaux de SO 2, si nécessaire. L'élevage dure entre sept et douze mois en barrique.

' A Bordeaux, la tradition veut que le vin soit soutiré tous les trois mois , rappelle Guillaume Pouthier, directeur de domaines aux Vignobles Dourthe. Un soutirage avant les fêtes de Noël, un en sortie de taille, un avant les vendanges... quand les vignerons sont disponibles, en quelque sorte. Mais les soutirages ne sont pas raisonnés en fonction des besoins du vin. ' Depuis son embauche en 1999, cet oenologue a changé la méthode d'élevage dans les domaines dont il a la charge. ' Nous élevons les vins en légère réduction, pour ne pas voir les arômes s'échapper. Ces derniers ne sont pas là pour nous faire plaisir en cave, mais pour plaire à ceux qui vont boire nos vins. '
Au château La Garde, à Martillac (Gironde), Guillaume Pouthier élève les vins pendant quinze à vingt-quatre mois. Après malo, il les entonne dans des barriques avec bonde en silicone dessus et ne les bouge plus jusqu'à la fin de leur élevage. Dans certains lots, il incorpore des lies, afin de les protéger encore plus de l'oxydation et de leur donner de la rondeur. Chaque mois, il déguste tous les lots, procède à l'ouillage et ajuste les niveaux de SO 2 si nécessaire. Si les vins restent à la limite de la réduction, ils ne reçoivent que l'oxygène qui diffuse au travers de la barrique pendant tout leur élevage, rien de plus. S'ils réduisent trop, ils font l'objet d'un cliquage. Cette opération consiste à injecter de l'oxygène dans le vin, au travers d'une céramique introduite par le trou de bonde. La quantité d'oxygène injectée est parfaitement connue et déterminée par l'oenologue. Elle peut être du même ordre de grandeur qu'au cours d'un soutirage, mais peut aussi correspondre à un demi-soutirage ou, au contraire, au double, voire au triple de la dose normalement apportée lors de cette opération. La quantité injectée est donc ajustée en fonction des besoins du vin.

Antoine Médeville, oenologue au laboratoire Massie Médeville, dans le Médoc, conseille également une telle pratique depuis quatre à cinq ans. Il constate que de plus en plus de propriétés s'y mettent. ' En soutirant de barrique à barrique, on apporte entre 1,5 et 2 mg/l d'oxygène, rappelle l'oenologue. Mais tout le monde n'a pas la possibilité de travailler de cette manière. En passant par une cuve avant de revenir en barrique, on apporte 6 à 7 mg/l. On est proche de la saturation du vin . Par un cliquage, on maîtrise parfaitement la dose apportée. ' Et Guillaume Pouthier de renchérir : ' Si nous pouvions soutirer dans les règles de l'art, au soufflet, en passant d'une barrique à une autre, cela ne poserait pas de problème pour le vin, car il serait bien protégé de l'air. Mais à La Garde, nous avons 1 300 fûts. Il faudrait trois mois à deux personnes pour soutirer au soufflet . ' Or, il ne dispose que de deux personnes à l'année, dont l'une passe six mois dans les vignes. Il ne lui est pas possible de mobiliser toute sa main-d'oeuvre en permanence pour les soutirages. Sa méthode d'élevage présente des intérêts évidents pour l'organisation du travail.

Dans tous les cas, c'est la dégustation qui oriente les décisions. ' Trois à quatre jours après le cliquage, nous regoûtons les vins pour voir si le traitement était suffisant ', poursuit le directeur de domaines des Vignobles Dourthe. Pour suivre les vins qui ont une forte tendance à réduire, il effectue également des mesures de potentiel rédox, juste avant les dégustations. L'évolution de ces potentiels alerte les dégustateurs sur une éventuelle aggravation de la réduction. ' Il n'y a pas de valeur absolue à partir de laquelle on déclenche un cliquage ', nuance Guillaume Pouthier. Cela dépend en effet des lots, de la présence ou non de lies... Les soutirages, cependant, permettent de nettoyer et d'aseptiser régulièrement les barriques et d'éviter les problèmes microbiologiques. C'est pourquoi Antoine Médeville préconise tout de même d'en réaliser un en juin, ' pour désinfecter les barriques et éviter les problèmes microbiologiques en été . ' Pour Guillaume Pouthier, ' si les lots entonnés sont exempts de sucre et si leurs analyses microbiologiques de départ sont bonnes, il n'y a pas trop de risque s '. Mais cela implique d'énormes précautions.
Ainsi, il analyse scrupuleusement les vins avant entonnage, pour s'assurer qu'ils sont secs et exempts de germes. Un mois après entonnage, il s'assure par une analyse microbiologique qu'il n'y a pas de contamination. De même, les lies qu'il incorpore dans certains vins font l'objet d'une stabilisation à froid pendant trois mois, au terme desquels il vérifie qu'elles ne contiennent plus ni bactéries, ni levures viables. Enfin, avant de soutirer définitivement les vins, leur flore microbienne est à nouveau contrôlée. En dehors de ces quatre moments clés, les analyses ne sont réalisées que si la dégustation mensuelle révèle des problèmes. Si l'abandon des soutirages économise de la main-d'oeuvre, il demande un suivi très rigoureux. Dans le cas où les vins commencent à réduire ou si leur microbiologie n'est pas impeccable, il faut agir vite.

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