Le vin vert séduit par sa fraîcheur et son perlant. Il résiste à la mode du rouge. Mais le vignoble portugais, extrêmement morcelé, doit se moderniser pour survivre.
Il porte le curieux nom de vinho verde (vin vert). Certains consommateurs pensent parfois qu'il provient d'un raisin non mature. Il n'en est rien bien sûr. Il est vert parce que frais, acidulé et légèrement pétillant, des qualités qui font de ce vin portugais un bon associé de la table contemporaine. Il est produit dans une région d'appellation contrôlée, qui couvre l'ouest d'une zone commencant au nord de Porto pour aller jusqu'à la frontière espagnole. Le vignoble s'étend sur 35 000 ha, ce qui représente 15 % de la superficie viticole lusitanienne.
Les premières vignes remontent à l'occupation romaine, mais la première référence écrite date de 1295. Ce vignoble a façonné le paysage. Des ceps grimpent encore aux troncs et aux branches d'arbres. Le raisin se récolte perché sur une échelle. Mais depuis les années 1970, ces lianes laissent la place à la culture en ramada, une pergola établie à 2 m de hauteur. 31,5 % de la superficie du vignoble est conduite ainsi.
Le mot ' vert ' est ici pris au sens ancien, qui veut dire jeune, vif. Le vinho verde est peu alcoolisé. Aujourd'hui, il titre entre 9 et 13º, contre 8 à 11° autrefois. Il s'agit d'un vin perlant. Il contient du gaz carbonique résiduel de la fermentation, conservé grâce à une mise en bouteilles au début de l'année suivant la vendange. Les Portugais utilisent les mots agulha (aiguille) ou pico (pic) pour le désigner.
Quelques vinhos verdes, notamment des blancs, contiennent peu de gaz. Souvent, on en rajoute au moment de la mise pour renforcer le perlant. Selon un décret de 1985, la pression de gaz, résiduel ou rajouté, ne peut pas dépasser 1 bar en bouteille.
' C'est l'association d'un terroir, d'un savoir-faire unique, de conditions climatiques particulières en Europe méridionale qui donne son esprit au vin vert ', explique António Luis Cerveira, oenologue de la Commission de viticulture de la région des vins verts, dont le siège est à Porto. Les cépages y sont également pour quelque chose. Depuis 1985, sept sont recommandés. Le loureiro est réputé pour ses arômes floraux. L'alvarinho et l' avesso apportent des notes de fruits tropicaux et l'azal, des parfums d'agrumes. Ces cépages peuvent être seuls ou assemblés. ' Tout est une question de diversité, se plaît à dire António Luis Cerveira. Nous avons pour habitude de dire les vins verts, et non le vin vert, singulier trop réducteur. ' Le rouge ne représente que 15 à 20 % de la production. Il s'agit d'un vin rustique bu localement. Il est encore produit de façon traditionnelle dans les lagares en pierre, où les raisins sont foulés au pied. Mais cette tradition se perd.
Malgré l'engouement des consommateurs pour le vin rouge, le vinho verde blanc résiste. Aujourd'hui, il s'exporte vers quarante pays. ' La France arrive largement en tête avec un million et demi de litres par an. Ce sont surtout nos compatriotes émigrés qui le consomment, et leurs enfants qui sont devenus des consommateurs européens à part entière, donc plus exigeants sur la qualité ', explique Manuel Pinheiro, directeur de la Commission du vin vert. Les Etats-Unis et l'Allemagne sont deuxième et troisième importateurs devant un surprenant Angola.
Le vignoble se modernise. ' Nous arrachons les ramadas pour les remplacer par des vignes palissées, plantées en haut des coteaux, explique Manuel Pinheiro. Cela permet un meilleur ensoleillement, facilite l'exploitation et rationalise la production. ' Le coût de plantation est estimé à 10 000 euros/ha, le coût de production à 4 000euros/ha en ramada, contre 2 500 euros/ha palissé.
Commencé il y a une dizaine d'années, le processus s'est accéléré avec le programme Vitis de restructuration, financé par l'Union européenne. Il connait une nouvelle accélération. En septembre 2004, le Portugal a obtenu 44,5 Meuros pour la campagne 2004-2005. Cela représente 41 % de plus que chacune des quatre années précédentes, qui ont permis la reconversion de 2 000 ha de vin vert.
Mais le chantier n'est pas terminé. Bruxelles estime que le vignoble portugais souffre d'un retard plus grave que les autres pays. La rallonge budgétaire pour 2004-2005 est destinée à tout le Portugal et devrait toucher 6 800 ha. Précision : le programme de reconversion concerne aussi le matériel vinaire et la mécanisation.
' Le handicap majeur est l'extrême parcellisation du terroir, dit Aurélio Carvalho, responsable de la coopérative de Felgueiras, deuxième par la taille des vingt-cinq coopératives recensées. Le salut passera par la concentration des moyens de production, de distribution et de vente qui sont artisanaux, voire anachroniques. '
En tout, 40 000 producteurs récoltent 700 000 hl par an, sur 289 000 parcelles. La région compte plus de 500 viticulteurs metteurs en bouteilles. Ce sont les plus menacés en raison de leur petite taille.
La coopérative de Felgueiras rassemble 4 000 agriculteurs, dont 1 000 viticulteurs. Grâce à de lourds investissements, elle s'est dotée, il y a cinq ans, de chais modernes. ' Nos outils de production garantissent une qualité constante , explique l'ingénieur Pedro Martins. Nous distribuons nos marques et allons bientôt lancer des quintas (des domaines). ' Les propriétaires de ces domaines n'auront plus à mettre eux-mêmes en bouteilles, ce qui soulagera d'autant leur budget d'investissement.
Mais une nouvelle menace pèse sur le vignoble : l'arrivée du kiwi, un fruit bien adapté à la région et plus rentable que le vin vert.