Les goûts terreux ont explosé en 2002 et sont à nouveau préoccupants en 2004. Les recherches se poursuivent pour identifier toutes les substances qui les provoquent.
Les goûts de terre, de betterave et d'humus sont des pollutions bien connues dans les eaux. Depuis 1999, on en trouve dans les vins. Des cabernets-sauvignons et des sémillons bordelais sont affectés, ainsi que des chenins, des gamays ligériens, beaujolais ou bourguignons, et des pinots noirs. 2002 fut propice à leur développement et les vendanges 2004 ont vu leur réapparition.
Ces mauvais goûts sont dûs à plusieurs molécules. Le 2-méthylisobornéol (MIB), cause des déviations sur le moût. Il disparaît au cours de la fermentation. La géosmine serait la principale molécule en cause dans le Bordelais, le Beaujolais et en Val de Loire. Pour la Bourgogne, le problème semble différent. Béatrice Vincent, qui coordonne les travaux de l'ITV sur le sujet, confirme : ' En 2002, je ne retrouvais de la géosmine que dans un vin bourguignon altéré sur dix, dans un sur cinq en 2003 et un sur six ou sept en 2004. ' De nombreuses autres molécules seraient impliquées. Elles sont en cours d'identification à la faculté d'oenologie de Bordeaux, et à l'ITV qui collabore avec l'Enesad (Etablissement national d'enseignement supérieur agronomique de Dijon). On soupçonne des méthoxypyrazines (famille à laquelle appartient l'IBMP, arôme de poivron vert).
Stéphane La Guerche, à la faculté d'oenologie de Bordeaux, observe que la présence de géosmine est liée à celle de Botrytis cinerea, même si ce dernier n'est pas toujours visible à l'oeil nu. Ce n'est pas ce champignon qui synthétise la géosmine, mais il prépare le terrain pour que Penicillium expansum puisse le faire. Il consomme les acides aminés du raisin, créant une carence qui déclenche la production de géosmine. De même, il sécrète du mannitol, un sucre qui stimule cette synthèse.
Toutefois, la pourriture n'est pas toujours visible et la contamination est souvent interne. ' En séparant les baies externes des baies internes et les pellicules de la pulpe, nous nous sommes aperçus que 98 % de la géosmine d'une grappe se situe dans les pellicules de baies internes ', affirme Stéphane La Guerche. Pour Valérie Lempereur, à la station ITV de Villefranche-sur-Saône, cette affirmation était vraie en 2002, mais pas en 2004. En dosant la géosmine grappe par grappe, Stéphane La Guerche a constaté que la présence du contaminant dans seulement 5 % des grappes suffit à contaminer une cuve au-delà du seuil de perception. Les grappes contaminées en contiennent en effet de grandes quantités.
Comme si cela ne suffisait pas, la géosmine est stable. En cours de vinification, elle ne disparaît pas. La macération préfermentaire ferait parfois augmenter la teneur du vin. A l'inverse, des viticulteurs du Beaujolais rapportent que la macération finale à chaud la fait baisser.
En collaboration avec des oenologues bordelais, Stéphane La Guerche a testé un traitement thermique en bouteilles : il a fait disparaître 80 % de la géosmine en maintenant les bouteilles fermées à 70°C... pendant 24 heures ! Au pH du vin, il faut deux mois à 20°C pour dégrader 50 % de la géosmine ou huit mois à 10°C. Mais il n'est pas rare que le vin en contienne une ou plusieurs centaines de nanogrammes par litre, alors que le seuil de perception admis est de 50 à 80 ng/l ( Traité d'oenologie, de Ribéreau-Gayon et al.) ' Ce seuil est variable d'un vin à l'autre, complète Valérie Lempereur. Il est plus élevé dans un vin très fruité que dans un vin peu expressif. '
Aucun traitement autorisé sur moûts ou vins n'élimine les goûts terreux. L'ITV n'a trouvé aucune efficacité aux enzymes pectolytiques ou au mélange PVPP et caséine. Le charbon donne de bons résultats, mais engendre des pertes de couleur. L'ITV encadre également des expérimentations de traitement au lait entier ou à l'huile de pépins de raisin sur 50 000 hl.
D'après les résultats obtenus lors de ces expérimentations en 2004, le lait entier présente les mêmes inconvénients que le charbon, malgré une efficacité correcte. ' Sur les cuvées qui présentent des défauts importants, il faut utiliser des doses de lait élevées et risquer de perdre beaucoup de couleur, commente Valérie Lempereur. Il faut alors privilégier l'huile de pépins de raisin. '
Cette dernière, à des doses de 0,2 à 0,4 l/hl, semble le traitement le plus convaincant. A 0,3 l/hl, en moyenne en 2004, elle a débarrassé les vins contaminés (79 ng/l de géosmine, en moyenne) de 70 % de leur pollution. Valérie Lempereur signale quelques précautions à prendre dans l'emploi de ce traitement. L'huile doit être raffinée, sans odeur ni goût de rance et donc conservée autant que possible à l'abri de l'air. Il faut l'incorporer à l'aide d'une pompe doseuse ou d'un raccord à colle, au cours d'un soutirage, en faisant en sorte que toute la cuve soit traitée, des premiers aux derniers litres.
Mais ces traitements curatifs ne sont ni autorisés, ni sélectifs, d'après Stéphane La Guerche, qui regrette la perte d'arômes qu'ils engendrent. Les chercheurs recommandent donc de privilégier les mesures préventives.
La faculté d'oenologie de Bordeaux et l'ITV travaillent en collaboration avec des firmes de produits phytosanitaires pour élaborer des programmes de traitement. ' Nous avons montré que certaines stratégies de traitement antibotrytis qui ont une bonne efficacité sur la pourriture diminuent les teneurs en géosmine ', explique Stéphane La Guerche, dont la thèse était financée par Bayer. Béatrice Vincent nuance ces résultats : ' En 2003, certains vins expérimentaux, pourtant élaborés à partir d'une vendange très saine, étaient très marqués par les goûts terreux. '
En fait, P. expansum ne serait pas seul en cause. L'ITV a observé en 2004 que cette espèce était rarement présente en Bourgogne et en Beaujolais, y compris sur des vendanges donnant des vins terreux. Une autre espèce de Penicillium serait impliquée. Mais elle reste à déterminer. D'autres pistes sont également envisagées, comme des bactéries filamenteuses de type actinomycète et d'autres moisissures.