Les doubles-actifs n'ont jamais été soutenus par les organisations professionnelles. Les cotisations prélevées sur leur activité secondaire leur ouvrent peu de droits, s'ils tombent malades ou en cas de chômage.
En France, environ un agriculteur sur quatre est pluriactif, c'est-à-dire qu'il exerce, en complément de son activité principale d'exploitant, un autre travail salarié ou non salarié. La pluriactivité a toujours été importante dans le milieu rural, l'agriculteur étant souvent également boucher, boulanger ou encore ébéniste. Chez nos voisins allemands, près d'un agriculteur sur deux a deux métiers. Avec la crise, les vignerons s'inscrivent dans des agences d'emploi intérimaire, conduisent des camions ou des bus de ramassage scolaire, font des extra dans la restauration ou vont tailler les vignes chez leurs voisins.
A chaque cas de figure, sa problématique en matière de couverture sociale, de droits au chômage et d'imposition... La loi française, bien aidée par les services administratifs, privilégie les cas simples : un seul statut pour toute la vie ! Avec la multiplicité de leurs interlocuteurs, les pluriactifs ont donc fort à faire pour comprendre leurs droits et surtout les faire valoir. ' Il faut être honnête, les doubles-actifs sont perdants dans la majorité des cas, concède une salariée de la MSA, qui préfère garder l'anonymat. Les cotisations de leur activité secondaire leur ouvrent peu de droits. C'est injuste, mais cela arrange tout le monde, et surtout la MSA, l'Urssaf et les Assedic. '
Nombreux mais isolés, les doubles-actifs ont peu de moyens pour se faire entendre, d'autant qu'ils n'ont jamais bénéficié de la bienveillance des professionnels responsables agricoles. Pour eux, le métier d'agriculteur mérite qu'on s'y consacre à temps plein. Les doubles-actifs ne sont donc pas dignes de ce métier. Reconnaître la double activité, c'est aussi faire le constat douloureux que l'agriculture ne peut plus nourrir son homme.
Mais les mentalités évoluent. Dans un rapport remis en fin d'année 2004 au ministère de l'Agriculture, la commission nationale d'orientation agricole - qui centralise l'avis des commissions départementales - a préconisé de ' lever les freins à la pluriactivité '. Un premier pas tardif, mais révélateur d'une prise de conscience. Reste à connaître la position de Dominique Bussereau, et surtout la volonté des députés à faire évoluer le système. Les associations qui aident les pluriactifs demeurent prudentes, échaudées par les espoirs déçus, à la suite du rapport d'Hervé Gaymard de juin 1994, qui s'intitulait pourtant Pour le droit à la pluriactivité.
Dans le cas où le vigneron à titre principal travaille en tant que salarié dans une entreprise du régime général, il doit payer des cotisations dans les deux régimes, c'est-à-dire à la MSA et à l'Urssaf, au prorata de ses revenus. De même, s'il est salarié dans le secteur agricole, il paiera à la fois des cotisations de salarié et d'exploitant à la MSA. Jusque-là, tout est normal. Mais quand on examine les droits de ce double-actif, le tableau s'obscurcit.
En effet, s'il est en arrêt maladie ou en congé maternité dans son travail de salarié, il ne touchera des indemnités journalières que sous deux conditions : son travail de salarié doit représenter 1 200 h par an et ses revenus salariaux doivent être au moins égaux à ses revenus agricoles. Un vigneron qui est salarié 34 semaines par an, à raison de 35 h/semaine, mais dont les revenus salariaux ne représentent que 48 % de ses revenus globaux, cotise donc à fonds perdus sur le registre des indemnités journalières. A l'inspection du travail, on dit qu'ils cotisent au titre de la solidarité... Bel euphémisme !
Sur le plan du chômage, la situation n'est pas simple non plus. Un vigneron qui est licencié de son activité salariale secondaire touche très rarement les allocations chômage, même s'il a cotisé pendant de nombreuses années. Le calcul des indemnités dépend de la surface exploitée. Si elle est inférieure à la moitié de la SMI, la commission paritaire de l'Assedic jugera si l'exploitant qui perd son activité de salarié peut toucher les allocations chômage au prorata de ses cotisations. L'avis de cette commission est souverain et aucun recours n'est possible. Si la surface exploitée est supérieure à une demi-SMI - ce qui est le cas d'une majorité des exploitants ! -, il n'y a pas de discussion : le cumul des allocations chômage avec des revenus agricoles est interdit. L'exploitant peut néanmoins s'inscrire à l'ANPE...
Dans le domaine fiscal, la double-activité est traitée de manière équitable. Il y a autant d'impositions distinctes que de catégories de revenus. L'équité est également de mise en matière de retraite, le pluri-actif cotisant dans chaque régime au prorata de ses revenus. Il peut cumuler les pensions de différents régimes, sous réserve, comme tous les autres citoyens, d'avoir rempli toutes les conditions. Le cumul d'une activité d'exploitant agricole et de salarié est donc discriminante par rapport aux mono-actifs.
La loi est en revanche un peu plus souple pour un exploitant qui souhaite diversifier ses activités non salariées. Un vigneron peut avoir une activité touristique (chambre d'hôtes, etc.), de consultant ou d'entrepreneur si le chiffre d'affaires de ces activités annexes ne dépasse pas 30 000 euros/an et ne représente pas plus de 30 % du chiffre d'affaires de l'exploitation. Un vigneron qui va tailler chez son voisin a donc plus intérêt à facturer une prestation de services que d'être salarié temporaire.
En 1994, Hervé Gaymard estimait dans son rapport que l'injustice du système actuel ' encourageait le développement du travail non déclaré '. Onze ans après, rien n'a changé...
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