Une reconstitution du climat, à partir des dates de vendanges depuis 1370, montre que le réchauffement climatique est en marche. Ce phénomène pourrait modifier les pratiques viticoles.
Les scientifiques sont unanimes : l'intensification des émissions de gaz à effet de serre engendre un réchauffement climatique sans précédent. Dernière preuve en date : les travaux d'une équipe de chercheurs du CNRS, du Centre d'énergie atomique et de l'Inra. Ces derniers ont reconstitué le climat de la Bourgogne, depuis 1370, à partir des dates de vendanges du pinot noir. ' Ces dates sont un indicateur plus fiable et plus précis que les cernes d'arbres ou la concentration des gaz dans les glaces ', explique Isabelle Chuine, du CNRS.
C'est Emmanuel Le Roy Ladurie, professeur au Collège de France, qui les a recueillies à partir des archives de douze communes. Les chercheurs ont complété la série jusqu'en 2003, puis ils l'ont intégrée dans un modèle mathématique, qui simule le développement de la vigne en fonction des températures. Ils ont pu reconstituer, pour chaque année, la température moyenne sur la période d'avril à août, avec une marge d'erreur de plus ou moins 1°C. Ils ont constaté que la Bourgogne a connu plusieurs périodes aussi chaudes que les années 1990. De 1380 à 1420 et de 1630 à 1680, les chercheurs ont démontré que les températures étaient supérieures de 1,5°C à 2°C à celles enregistrées de 1960 à 1989 (environ 15°C en moyenne).
La décennie 1520 a été particulièrement chaude avec, en 1523, 4,1°C de plus que la période de référence (1960-1989). Toutefois, 2003 apparaît, et de loin, comme l'année la plus chaude, avec une anomalie de 5,9°C. Le fait d'observer des périodes chaudes au cours des XIV e, XVe et XVIIe siècles prouve qu'il existe une variabilité naturelle du climat. Cependant, ces dernières années, le réchauffement est si rapide qu'il ne s'explique pas uniquement par des variations naturelles. Selon le météorologue Jean-Marc Moisselin, l'augmentation des températures en France, au cours du siècle passé, fut de l'ordre de 0,9°C. Durant la dernière décennie, elle fut même de 0,4 à 0,6°C. L'effet de serre est donc bien en cause.
Selon les prévisions du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, les températures pourraient augmenter de 1,4 à 5,8°C entre 1990 et 2100. Localement, des refroidissements pourraient survenir en raison de l'atténuation ou de l'inversion du Golf Stream, le courant marin chaud qui baigne l'Europe. La répartition et la quantité des pluies seront modifiées. Les phénomènes extrêmes (tempêtes, pluies violentes, sécheresse prolongée) s'accentueront.
Les conséquences du réchauffement sur la physiologie de la vigne sont d'ores et déjà perceptibles. Les dates de floraison sont devenues plus précoces de deux à trois semaines en trente ans. Celles des vendanges ont avancé de presque un mois en cinquante ans dans le Médoc et les côtes du Rhône.
En Alsace, d'après les données de l'Inra de Colmar, les vignerons ont vu la véraison du riesling avancer de trois semaines en trente ans. Ils ont gagné 0,06°C à la récolte par an, en moyenne, sur cette période. De nombreuses inconnues persistent, mais les chercheurs avancent quelques hypothèses. Les gains de précocité devraient se poursuivre. Avec des débourrements plus précoces, se pose la question de l'augmentation des risques de gelées. Autre conséquence : l'avancée de la maturation en été, avec des nuits chaudes, pourrait avoir un effet néfaste sur la qualité des polyphénols.
Le réchauffement aura aussi une incidence sur l'encépagement et l'aire de répartition de la vigne. Hans Schultz, chercheur à Geisenheim (Allemagne), pense que l'aire de culture de la vigne s'étendra vers le nord.
Autre phénomène : l'augmentation de la teneur en gaz carbonique de l'atmosphère engendrera une stimulation de la photosynthèse de 20 à 30 %, dans l'hypothèse d'un doublement de la concentration en CO 2 par rapport aux années 1990. Cela engendrerait une augmentation de la biomasse de 15 à 20 %, ainsi qu'une meilleure efficience de l'eau par la plante (moins de perte par évapotranspiration). Toutefois, l'excès de végétation et l'accroissement de la taille des grappes devront amener les vignerons à maîtriser les rendements et à adapter les travaux en vert.
Mais ce scénario va dépendre des ressources en eau. Seront-elles suffisantes ? Dans le Midi, elles risquent de faire défaut. De faibles pluies, associées à des réserves hydriques insuffisantes, à l'instar de 2003, bloqueront la maturation. En Allemagne, on se prépare d'ores et déjà à recourir à l'irrigation en cas de besoin. A côté de ça, des pluies torrentielles risquent de survenir, provoquant des inondations et accentuant le ruissellement et l'érosion. ' L'enherbement risque de devenir un dilemme. Si on le conserve, on aura des problèmes de stress hydrique et azoté. Si on l'enlève, on aura des problèmes d'érosion ', s'interroge Eric Duchêne, de l'Inra de Colmar.
Soulignons la modification des pressions parasitaires. De nouveaux fléaux pourraient apparaître.